Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
OCTOBRE 1768.

long et de manquer de sentiment toujours, et souvent de naturel et de vérité ; qu’au surplus, crainte d’indigestion, je n’avais lu qu’un très-petit nombre de ces Contes moraux.

Interpellé de m’expliquer sur cette crainte d’indigestion à l’occasion d’un recueil dont le succès a été si général, et qui a passé plus de six mois sur la toilette de madame la lieutenante criminelle, j’ai dit que chacun avait ses idées, que j’avais tort sans doute, mais que j’étais plus difficile sur ce genre qu’un autre ; que j’y voulais trouver le plus grand naturel, une facilité et une grâce singulières dans le style, point d’emphase, point d’efforts, point d’échafaudage, point de longueurs, rien de lourd, rien d’alambiqué, rien de tiré par les cheveux ; qu’il fallait que je visse clairement que l’auteur s’est amusé lui-même en voulant m’amuser ; qu’en un mot certain faiseur de contes, appelé Voltaire, m’avait dégoûté de tous les autres, et que je me réservais de me pourvoir, en temps et lieu, par-devant la cour, en dommages et intérêts contre ledit Voltaire, à cause du dégoût qu’il m’avait donné pour la plupart des maîtres de sa communauté. Qu’au demeurant j’étais persuadé que les mies et les bonnes en charge feraient bien de substituer les Contes moraux de maître Marmontel aux contes avec lesquels elles étaient en usage d’endormir les enfants, parce que ces contes étaient plus sensés, qu’il y était question de vertu et d’autres bonnes choses auxquelles on ne fait pas mal d’accoutumer les oreilles de bonne heure ; que, d’ailleurs, les personnages des susdits Contes moraux étaient presque aussi bavards que les mies et moi, ce qui plaisait beaucoup aux enfants, lesquels aiment en général les bavards.

Interrogé comment un conteur vertueux, tel que M. Marmontel, a pu donner lieu au scandale public qui fait l’objet de ce procès, j’ai dit que ce scandale me paraissait le fait de la comédie de Laurette, et non du conte de Laurette ; qu’en conséquence le sieur du Doyer de Gastel m’en paraissait seul responsable.

Interpellé de m’expliquer sur les personnages de sa pièce, lesquels sont principalement entrés dans les vues criminelles de cet auteur, et en partageant son tort ont excité contre eux le cri public, j’ai dit que, pour ne faire tort à personne dans une affaire aussi grave, je me trouvais obligé de m’expliquer sur chacun séparément.