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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Interrogé si, d’abord, le lieu même ne m’avait pas paru suspect, j’ai dit que j’avais reconnu le jardin du château de Clancé, où Mme de Clancé, femme de la cour et du bon ton, donnait ces bals champêtres auxquels elle avait coutume d’admettre les jeunes filles et les garçons du village ; qu’à la vérité ces bals avaient fourni l’occasion au jeune comte de Luzy de voir Laurette et de concevoir une forte passion pour elle, mais que ce n’était pas la faute de Mme de Clancé ; que son bal avait été fort beau ce 14 du mois passé, jour qui avait eu des suites assez sérieuses pour exciter l’attention de la cour ; que les Comédiens ordinaires du roi avaient prêté pour ce jour-là, et leurs danseurs, qui sont très-mauvais, et leurs plus jolies actrices, lesquels, représentant les uns les gens du château, les autres les gens du village, avaient formé pêle-mêle un bal champêtre ; qu’il y avait eu dans le fond sur une terrasse élevée un buffet garni de toutes sortes de rafraîchissements, et que le lieu même du bal, sur le devant en deçà de la terrasse, s’était trouvé entouré de canapés de bois et de chaises de jardin, les dernières vulgairement et vilainement appelées pelles-à-cul ; qu’ainsi rien n’avait manqué à la commodité et aux agréments de ce bal, où Mme de Clancé, représentée par Mme Préville, n’avait pas dédaigné de danser elle-même une contredanse avec tout le village.

Interpellé de dire librement ma façon de penser sur Mme de Clancé, j’ai dit qu’elle m’avait paru jouir d’une très-mince considération dans le parterre, dont beaucoup de membres étaient d’avis qu’elle n’aurait pas dû paraître à son bal.

Interrogé s’il n’y avait rien à dire sur sa conduite, j’ai dit : Rien, excepté sa liaison avec le comte de Luzy, à qui elle avait permis de lui dire ce que sûrement bien des gens voudraient dire à madame la lieutenante criminelle, mais ce qu’elle n’écoute sans doute que de la bouche de monsieur le lieutenant criminel.

Interrogé à voix basse par ledit magistrat pourquoi je disais sans doute, j’ai demandé la permission de le supprimer.

Interrogé si j’avais remarqué que la liaison de Mme de Clancé et du comte de Luzy avait choqué, j’ai dit que je le croyais, d’autant que ce jeune homme n’avait que sa passion pour Laurette en tête, et que Mme de Clancé paraissait femme à se consoler aisément de la perte d’un amant par l’acquisition d’un