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OCTOBRE 1768.

autre ; que seulement tout le monde eût désiré qu’il n’eût pas été question ni de Mme de Clancé, ni de son amour.

Interpellé de faire ma déposition sur cette allemande dansée à ce bal par une parente du comte de Luzy avec un homme qui avait l’air du suisse de la comédie, j’ai dit qu’il y avait dans cet énoncé plusieurs erreurs capitales. Que, premièrement, la petite paysanne qui avait dansé l’allemande s’appelait Mlle Luzy, de son nom de foyer, et exerçait sur le théâtre l’emploi de soubrette ; qu’elle n’était aucunement parente du comte de Luzy, qui portait au foyer le nom charmant de Molé ; que cette Mlle Luzy, fort jolie et fort bête, avait dansé une allemande avec un grand flandrin qui se dit neveu de Mme Préville, et à qui un baudrier de suisse ne siérait pas mal ; que cette allemande et ses différents tournoiements avaient duré, à la montre, près d’une demi-heure ; qu’aucuns avaient à la vérité trouvé cette danse fort indécente, mais que d’autres avaient été moins rigides, et avaient même assuré que c’était de toutes les scènes de la pièce la plus éloquente, et celle dont le discours les avait le moins ennuyés.

Interrogé si Laurette n’avait pas paru à ce bal, j’ai dit qu’elle y était venue, représentée par Mlle d’Oligny ; mais qu’apparemment ne sachant pas danser, elle n’avait fait que regarder les contorsions de sa camarade Luzy.

Interrogé si le comte de Luzy avait formé alors quelque projet d’enlèvement, j’ai dit qu’il avait seulement fait promettre à Laurette de venir le trouver dans le jardin après le bal à l’entrée de la nuit, et que cette pauvre innocente, très-amoureuse du jeune comte et ne se connaissant pas en dangers, s’était trouvée exacte au rendez-vous.

Interpellé de dire toute vérité sur la manière dont l’enlèvement qui a causé un si grand scandale dans le parterre s’est effectué, j’ai dit que Laurette est venue, que le comte de Luzy l’a conjurée longtemps de le suivre, qu’elle n’en a voulu rien faire, mais qu’à la fin elle s’est placée sur une pelle-à-cul pour s’évanouir ; qu’alors le nommé Morel, domestique, était venu dire au comte que son carrosse était prêt à la grille ; que le comte de Luzy lui avait demandé des eaux de senteur pour faire revenir cette pauvre Laurette, mais que Morel, plus avisé, avait emporté la pelle-à-cul, ensemble Laurette évanouie, de