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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

sorte que son maître n’avait eu d’autre parti que de le suivre.

Interrogé si je connaissais ce Morel, j’ai dit que je le connaissais sous le nom de Préville, comme un grand acteur, mais que je ne voulais avoir aucune liaison avec lui sous le nom de Morel, quoique ce soit un valet sentencieux, et que le parterre ait eu la bonté d’applaudir ce vers de sa facon :

L’amour-propre est causeur, mais l’amour est discret.

Interrogé si le tumulte excité par cet enlèvement avait été général, j’ai dit qu’il m’avait paru universel ; mais que j’avais ouï dire depuis que l’auteur seul, dans sa loge, s’était écrié à chaque vers : Ah ! que c’est beau ! et lorsqu’il avait entendu les huées du parterre, il n’avait cessé de dire dans son trou : Doucement ! messieurs, paix donc, messieurs ! ne perdons rien…

Interrogé si je ne trouvais pas cet enlèvement très-indécent, très-scandaleux, contraire aux bonnes mœurs et à la police, j’ai dit que si le comte de Luzy, séduit par son valet Morel, a pu se porter à cette extrémité, il avait bien réparé sa faute en donnant des preuves incontestables de bonne conduite dans le second acte ; que d’abord Laurette, arrivée dans l’appartement de son amant, et revenue de son évanouissement du jardin sur les trois heures du matin, n’avait voulu ni se déshabiller, ni se coucher ; que le comte de Luzy, de son côté, avait passé l’entr’acte et le reste de la nuit à faire une toilette superbe, afin de pouvoir sortir de grand matin ; qu’il était en effet sorti au commencement du second acte, et qu’il n’était plus revenu qu’à la fin de la pièce, lorsque Laurette est déjà retrouvée par son père ; de sorte que tout le monde est demeuré convaincu que ce jeune homme est plus sage qu’il n’en a l’air, et qu’il n’a pas enlevé sa maîtresse pour la mettre à mal, ni même pour passer son temps avec elle.

Interrogé si je croyais réellement qu’il n’était rien arrivé de fâcheux à Laurette pendant cette nuit fatale, j’ai dit que je le croyais, et que je mettrais ma main au feu ; que je suppliais la cour de vouloir bien considérer ce fait avec sa perspicacité ordinaire, parce qu’il me paraissait tendre à la décharge du sieur du Doyer, et établir à son profit une différence essentielle entre lui et maître Marmontel le conteur, lequel, plus accoutumé au