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OCTOBRE 1768.

train de Paris, faisait vivre sa Laurette avec le comte de Luzy au moins six mois dans le désordre et dans le scandale, là où le sieur du Doyer, se repentant incontinent de la violence de son rapt, préserve sa vertueuse Laurette de toute autre contusion, dam et dommage, et, ne pouvant nous garder six mois à la Comédie, fait arriver le père dans la matinée même qui succède à cette nuit orageuse, et garantit ainsi Laurette, par un trait qui fait honneur à son cœur, de la qualité ignominieuse de fille entretenue : sans compter qu’ayant poussé la générosité et la prévoyance jusqu’à créer d’avance Basile gentilhomme, il sauve au comte de Luzy le désagrément de faire une mésalliance, en quoi il s’était sûrement flatté d’avoir fait un coup de maître.

Interpellé de dire à quoi le sieur du Doyer a employé le second acte de la pièce, puisque je croyais pouvoir répondre de l’entr’acte, et que le comte de Luzy a le bon procédé de sortir dès le commencement du second acte et de fuir ainsi prudemment l’occasion qui, comme on sait, fait le larron, j’ai dit que tout s’était passé aux yeux du parterre avec beaucoup de circonspection ; que le comte de Luzy avait établi Mlle Faniez, jolie actrice, comme femme de chambre auprès de Laurette ; qu’à la vérité je soupçonnais le sieur du Doyer d’avoir voulu donner des mœurs suspectes à cette chambrière, mais qu’en tout cas, le mauvais comme le bon de son rôle n’avait pu faire aucun effet à cause des huées interminables du parterre ; que cette pauvre fille s’était même mise à pleurer, voyant qu’elle ne pouvait se faire écouter.

Interrogé si, n’ayant pu se faire entendre, elle n’avait fait aucune action contraire aux bonnes mœurs, j’ai dit : Aucune, excepté de charger les oreilles de Laurette de deux pendeloques de diamants, de l’obliger de se mettre à une toilette magnifiquement garnie, de la barbouiller de rouge, quoique Mlle d’Oligny ne lui en eût pas mal mis, et de pisser enfin dans ses propres jupes, de dépit et de douleur de la réception que le sieur du Doyer lui avait procurée de la part du parterre, aux galanteries duquel son joli minois l’avait de tout temps accoutumée.

Interrogée si le sieur du Doyer n’avait aucun autre reproche à se faire, j’ai dit qu’il avait, à la vérité, malicieusement induit le comte de Luzy à envoyer à Laurette, pendant sa toilette,