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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

Mme Benjamin, couturière, représentée par la maussade Lachassaigne, laquelle me paraissait assez digne d’un logement à la Salpêtrière ; qu’elle était venue pour prendre mesure à Laurette, devant lui fournir plusieurs robes superbes par ordre de M. le comte ; qu’elle avait aussi tiré une chanson de sa poche, et qu’elle l’avait donnée à chanter à Mlle Faniez, laquelle, s’obstinant de la chanter malgré les huées terribles du parterre, avait prolongé la toilette d’une demi-heure, mais que le parterre ne s’en était pas aperçu, parce que la mesure de la couturière l’avait mis de très-bonne humeur, et que pendant la chanson il n’avait cessé de crier : la Bourbonnaise ! la Bourbonnaise !

Interrogé si je croyais que le sieur du Doyer, en composant sa comédie de Laurette, aurait voulu mettre le sujet de la Bourbonnaise sur le théâtre, j’ai dit que, vivant dans la retraite, je n’étais pas bien au fait de l’histoire de la Bourbonnaise ; qu’en effet on entendait chanter ses louanges dans toutes les rues de Paris, et que le peuple l’avait prise en affection autant que le célèbre Ramponeau ; que s’il faut s’en rapporter à la chanson, cette Bourbonnaise était la fille d’un honnête ouvrier de Paris, laquelle, s’étant laissé débaucher par un godelureau, s’était établie dans un autre quartier ; et, vivant avec son amant dans le luxe, s’était donnée dans ce quartier pour une fille de condition du Bourbonnais ; mais que son père, l’ayant découverte, l’avait fait enlever par ordre de la police et enfermer dans une maison de correction ; que cette aventure, qui faisait depuis trois mois les délices du peuple de Paris, en sorte qu’il appelait maintenant toutes les filles d’affaire et d’autre des Bourbonnaises, avait en effet une si grande affinité avec l’histoire de Laurette que le parterre lui-même s’y est trompé, mais qu’après tout c’était au sieur du Doyer à déclarer ses intentions à cet égard.

Interrogé si je n’avais plus à rien dire dans cette affaire importante, j’ai dit : Rien, sinon que je trouvais à madame la lieutenante criminelle de fort beaux yeux.

Interrogé si je pouvais en conscience certifier véritable tout ce que je venais de déposer, j’ai dit que je le certifiais, à condition de ne pas relire ma déposition, laissant cette lecture aux risques et périls d’un chacun s’il s’en trouvait d’assez hardi pour l’entreprendre ; et ai signé en priant la cour d’user de clémence envers le, ou les coupables.