Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
NOVEMBRE 1768.

M. Monsigny, et quoique celui-ci lui ait fait une infidélité en faisant la musique de cette plate bouffonnerie, qui a paru sur le théâtre sous le titre de l’Île sonnante, et qui y a reçu l’accueil qu’elle méritait, M. Sedaine, plus honnête, ne s’est pas pour cela cru libre de son engagement, et persiste, au grand préjudice de nos plaisirs et de l’opéra-comique du nouveau genre dont il est le créateur, à ne vouloir travailler qu’avec Monsigny.

Duni s’y prit d’une manière singulière et en homme d’esprit pour engager Sedaine à lui corriger les Sabots. Il lui dit un jour à la Comédie qu’il avait dans sa maison un escalier qui menaçait ruine et qu’il voulait, en le rebâtissant, tourner d’une manière plus agréable ; et il le pria de lui donner quelques avis là-dessus. Sedaine alla donc, en qualité d’architecte, examiner l’escalier du compositeur ; celui-ci le force de rester à dîner. Après dîner, il lui chante à son clavecin, sans affectation, le premier air des Sabots'. Sedaine le trouve joli, et demande à voir la pièce ; c’était précisément ce que Duni voulait. Sedaine trouve la pièce mauvaise, donne quelques avis, promet de diriger les travaux de l’escalier, et revient au bout de quelques jours voir les ouvriers. Duni lui chante un second air des Sabots ; Sedaine en change les paroles, corrige la première scène, et s’en retourne, croyant n’être venu que pour l’escalier. À mesure que cet escalier se refait, la pièce se reforme d’un bout à l’autre ; de sorte qu’à l’exception du premier air, il ne reste pas un seul mot de la pièce de M. Cazotte. Sedaine se trouve avoir fait une pièce avec Duni sans s’en être aperçu, et Duni dit plaisamment qu’il lui en a coûté un escalier pour avoir une paire de sabots.

On reconnaît partout dans cette petite pièce la touche délicate et spirituelle de M. Sedaine ; il n’y a que quatre personnages : un vieux fermier, Lucas ; Colin, berger du canton ; Babet, petite paysanne, et Mathurine, sa mère.

Lucas se déteste, se chante pouille, se bat d’être tombé amoureux de cette petite Babet ; mais c’est qu’elle est si gentille ! Il la demande à sa mère. Mathurine est une brave femme qui veut que sa fille soit heureuse et qu’elle se choisisse elle-même son mari. Colin survient : c’est un grand nigaud bien joli, bien timide, bien serviable ; c’est le meilleur garçon, toujours prêt à rendre service, mais il n’a jamais osé parler de son amour ni à Babet, ni à sa mère, et cependant il se meurt d’amour et