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NOVEMBRE 1768.

reuse d’un garde-moulin, tandis que sa mère, acariâtre et mauvaise, veut lui faire épouser le vieux meunier Jean le Blanc, son voisin, platement copié d’après Pierre le Roux, dans Rose et Colas. L’amant garde-moulin fait, les nuits, le revenant pour effrayer la meunière et Jean le Blanc. Un grenadiers-royaux revient au village mal à propos, et comme il n’a pas peur des revenants, il pense déconcerter toute l’intrigue des deux amants ; mais, averti à temps, il entre dans leurs projets, et oblige la mère de donner sa fille au garde-moulin. À la première vacance parmi les poëtes du Moulin de Gentilly, je retiens la place, quant à l’honorifique, pour M. Le Monnier.

M. Covelle, le beau Robert Covelle, dont les amours avec Mlle Ferbot ont reçu un éclat immortel par les chants du cygne de Ferney, est, comme vous savez, horloger et bourgeois de Genève. Ayant eu la satisfaction de faire un enfant à Mlle Ferbot, sa servante, il fut cité en consistoire, et ne voulut jamais se mettre à genoux devant les ministres du saint Évangile. Cette courageuse résistance inspira au patriarche de Ferney une grande passion mêlée d’admiration pour le généreux Covelle ; il lui donna une fête. On rendit au beau Covelle tous les honneurs en arrivant à Ferney ; on ouvrit devant lui les deux battants ; M. de Voltaire l’appelait toujours en cérémonie monsieur le fornicateur, et ses gens, croyant que c’était le titre d’une charge de la république, ne l’annoncèrent plus autrement que M. le fornicateur Covelle. Grâce aux chants du cygne de Ferney, le fornicateur Covelle sera mis par la postérité, pour sa beauté, entre Ganymède et Antinoüs, quoique ce soit le bourgeois le plus mal tourné qu’il y ait à Genève. Mais l’admiration est à la longue pénible, et les héros ennuient quelquefois ; c’est le cas du beau Covelle avec son chantre. Cet illustre horloger s’étant transporté, le 6 du mois dernier, au château de Ferney, M. de Voltaire lui fait dire qu’il est fâché de ne pas le voir, mais qu’il est malade. Covelle insiste, il lui fait dire qu’il est à toute extrémité ; il insiste encore, et on lui dit qu’il vient de passer et qu’il n’est plus. Covelle demande comment il est mort ; on lui répond que c’est en écrivant, la plume à la main. Monsieur le fornicateur Covelle, pénétré de cette nouvelle, s’en retourne à Genève, la mande à tous ses correspondants, et ce bruit se répand incontinent dans toute l’Europe. Il