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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/483

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bois qui ont fait tant de fortune à la Foire. Si la nation n’a d’autre tort aux yeux de l’Éternel et de son prophète, le philosophe moitié gai, moitié chagrin, elle doit être épargnée, car il y a au moins un juste parmi elle. Ce juste, c’est moi : je n’ai vu ni le waux-hall de la Foire, ni les joutes d’eau, ni les comédiens de bois ; mais malheureusement ce ne sont pas là les vrais griefs du philosophe contre la nation, ils n’ont fait que lui servir de transition. Pour en revenir au seul grief réel qu’il ait contre nous, c’est de n’avoir pas accueilli la Peinture, poëme en trois chants par M. Lemierre. Il prétend que l’acharnement de quelques insectes subalternes contre cette belle production de M. Lemierre doit lui être un sûr garant de son immortalité : en conséquence, il nous en fait remarquer les principales beautés. Je commence à croire que le philosophe moitié gai, moitié chagrin, est M. Lemierre en personne ; ses griefs ont un air si paternel qu’il n’y a pas à s’y tromper. Encore à cet égard ma conscience ne me reproche rien. Le poëme de M. Lemierre parut l’automne dernier[1], peu de temps avant mon retour à Paris. À mon arrivée, je voulus m’informer de son succès ; il était déjà si parfaitement oublié que personne ne daigna me répondre. Si le public lisait la Lettre de M. Lemierre au baron de ***, il serait bien étonné d’apprendre qu’il y a eu des acharnés contre son poëme[2]. J’ai voulu le lire ; il ne m’a pas été possible d’aller jusqu’au bout du premier chant. Celui qui vous dit que M. Lemierre écrit en français vous trompe ; il y a en vérité plus loin de son jargon à la langue des Racine et des Voltaire que de la langue des Iroquois à la langue française. Je me serais donc contenté de vous préserver en deux mots du danger de cette lecture, qui fait plus de mal à l’oreille que le cri aigu et continu de la lime du serrurier ; mais j’ai trouvé dans les papiers que M. Diderot a préparés pour cette Correspondance, que ce philosophe a daigné s’occuper du poëme de M. Lemierre ; il a eu en vérité bien de la bonté. Il ne sera pas dit que vous soyez frustré des observations du philosophe, parce qu’il ne vous sera pas possible de lire l’ouvrage sur lequel elles ont été faites.

  1. Paris, Lejay, 1769, in-8°.
  2. Ici Grimm n’a pas l’air de mettre en doute que cette Lettre ne soit de Lemierre ; mais ce n’est qu’une supposition satirique. Barbier, dans son Dictionnaire, n’en fait pas connaître l’auteur anonyme. (T.)