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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/485

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M. Dorat, ensuite à un certain M. du Doyer de Gastel, auteur d’une épître à Mlle d’Oligny et d’une petite comédie intitulée Laurette et sifflée sur le théâtre de la Comédie-Française. Dans le fait, l’auteur est resté indécis, mais les charges et procédures ayant été portées à mon tribunal, M. Dorat a été véhémentement soupçonné et même dûment atteint et convaincu en vertu du ton général et de diverses tournures particulières de l’épître faisant le corps du délit. M. Dorat devait ce remerciement à M. de La Harpe, en récompense de certaine épigramme assez bonne pour avoir été attribuée à M. de Voltaire, mais reconnue aujourd’hui pour fille de la muse maligne du jeune auteur de Mélanie. Tout ce qui résulte de plus clair de la litanie beaucoup trop longue du curé, c’est que l’auteur de Mélanie n’est pas aimé de l’auteur de la litanie ; c’est ce qu’il ne fallait pas démontrer. Le bon curé de Saint-Jean de Latran s’est cru obligé d’aller trouver M. de La Harpe pour lui marquer son déplaisir de cette épître et lui déclarer qu’il n’y avait nulle part. Il a fait une pareille déclaration à la police, et M. de Sartine l’a tranquillisé en lui assurant qu’on n’avait nul soupçon contre lui.

C’est une chose digne de remarque que l’engouement et l’enthousiasme qu’on a eus pour Mélanie, pendant que l’auteur allait la lire de maison en maison, et l’espèce de déchaînement qu’elle a essuyé lorsqu’elle a été publique. Dans les minuties, dans les grandes affaires, les partis extrêmes sont notre lot ; il faut toujours s’écrier avec transport ou dénigrer avec fureur. On pouvait relever sans aigreur les défauts de la pièce, et rendre justice à la douceur du style, à l’harmonie de la versification, qualités précieuses et essentielles dans un poëte, et dont on sent le prix plus qu’à l’ordinaire quand on quitte la lecture du poëme de M. Lemierre. L’objection la plus solide que j’ai entendu faire contre la pièce de M. de La Harpe, c’est qu’il suffit, pour rompre toutes les mesures de son père, que Mélanie, conduite à l’église pour l’émission de ses vœux, ait le courage de dire distinctement et tranquillement non lorsqu’on lui demandera si elle veut être religieuse. Cet acte de fermeté exige, après tout, moins de courage que le parti qu’elle prend de s’empoisonner ; il n’a qu’un inconvénient pour M. de La Harpe, c’est de détruire sa pièce tout entière. Vous voyez aussi que M. le curé ne remplit pas son ministère dans la scène avec le