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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/492

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bas et rampant de très-bonne foi, et par conséquent, malgré sa bassesse, un bon et honnête garçon ; et je présume qu’il est réellement persuadé qu’il faut être Français pour connaître l’honneur, pour avoir des sentiments élevés et même honnêtes ; il avance du moins ces bêtises avec tant d’assurance que je ne saurais soupçonner sa bonne foi. Il se croit aussi, de la meilleure foi du monde, inventeur de la tragédie nationale. Et pourquoi ne le croirait-il pas ? On le lui a dit si souvent !

Pendant que M. de Belloy se préparait à publier sa tragédie de Gabrielle de Vergy, qu’il avait depuis plus de cinq ans dans son portefeuille, M. Baculard d’Arnaud faisait imprimer Fayel, tragédie également en vers et en cinq actes, également munie d’une préface et de notes[1]. C’est le même sujet traité par deux grands hommes également pauvres de génie, également impuissants, dont l’un se laisse aller à sa langueur, l’autre se démène comme un diable pour vous la dérober. Ce pauvre d’Arnaud croit que la frénésie de la passion est la même que celle qui résulte d’un dérangement d’organes ; il ne se doute pas de la liaison secrète qui existe entre les écarts de la passion, et il croit qu’on n’a qu’à passer du blanc au noir et du noir au blanc pour avoir l’air d’un homme agité et ballotté par une passion violente. Son Fayel est un fou furieux qu’il faudrait enchaîner aux petites-maisons. Sa pièce, malgré la bêtise féroce du châtelain Fayel, l’imbécillité du preux de Vergy, et la sottise de la belle Gabrielle mourante, a pourtant un mérite : c’est qu’on y retrouve le coloris du temps, cet esprit de chevalerie, cet alliage d’honneur, de bravoure, d’amour et de religion, qui donnent à ces siècles si grossiers et si barbares un air si poétique. Depuis Homère, il n’y a eu que les siècles des croisades et de la chevalerie qui aient offert des mœurs favorables à la poésie. Je sais gré à d’Arnaud d’avoir senti qu’en faisant une tragédie des fureurs d’un mari jaloux il fallait ennoblir son sujet par tout ce que l’histoire et l’esprit du siècle pouvaient lui fournir de teintes précieuses pour la couleur de ses personnages.

Au reste, le sujet de Gabrielle de Vergy n’est pas un sujet de tragédie[2] ; M. le duc de La Vallière en a fait une romance

  1. Paris, Lejay, 1770, in-8°.
  2. On publia cependant la même année, outre la pièce de de Belloy et celle