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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/504

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terrompait à tout moment pour demander à ce prince comment il trouvait cela. Il interpellait ainsi le cousin germain du roi de Pologne ; et dans les premières lignes de sa relation on lit que le roi de Pologne a servi aux plaisirs du chevalier Williams, ministre d’Angleterre en Russie, et que c’est là la première source de sa fortune. Ce qui n’est pas moins remarquable, c’est que cette scène se passait chez Mme Geoffrin. Après la lecture, le prince Adam vint à moi et me dit : « Concevez-vous mon embarras et mon étonnement ? Concevez-vous qu’on me dise cela en présence de vingt personnes ? J’ai été vingt fois tenté de me lever et de sortir. » À peine le prince m’eut-il quitté que Rulhière s’approche de moi et me dit : « Eh bien, le prince est bien content, n’est-il pas vrai ? » On peut juger par ce trait et de la bonne tête de l’auteur et de la sagesse qui règne dans sa relation ; elle est d’ailleurs très-intéressante, parce que le sujet l’est infiniment, et que l’auteur ne manque ni d’art ni de talent. Quant à la vérité des faits, nul homme sensé ne se persuadera qu’un étranger, pour avoir passé quelque temps au milieu de la nation la moins communicative de l’Europe, ait pu connaître les ressorts cachés dans cette grande affaire, et être à portée de savoir ce qui s’est passé et ce qui s’est dit dans des tête-à-tête de l’Impératrice avec le comte de Panin, ou d’autres principaux acteurs. Je crois M. de Rulhière à peu près le seul homme en Europe qui ait foi à la vérité de sa relation.

Après son Discours sur les disputes, on trouve dans le recueil des Choses utiles et agréables plusieurs pièces fugitives en vers, toutes connues. Il n’y fallait pas insérer la détestable chanson faite, il y a quelques années, contre Molé, acteur de la Comédie-Française[1] : pourquoi conserver une platitude grossière, sans sel et sans agrément ? L’Avis aux gens de lettres, que M. de Falbaire a publié cet hiver, figure tout aussi mal dans un recueil de Choses utiles et agréables[2] : c’est un écrit plein de détails bas et d’expressions ignobles. L’éditeur relève dans une note le fait de la bibliothèque de M. Diderot. Il dit que l’Impératrice de Russie donna cinquante mille livres de sa bibliothèque, et la

  1. Voir tome VII, p. 276 et suivantes.
  2. L’Avis aux gens de lettres plaisait à Voltaire à cause de la manière peu respectueuse avec laquelle le despotisme des libraires y était traité. Voir sa lettre à d’Alembert du 12 janvier 1770. (T.)