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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/505

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lui laissa ; cela n’est pas exact. Le bienfait que M. Diderot tient de la munificence de cette grande princesse, et qui est la source unique de l’aisance dont il jouit, est une somme de soixante-six mille livres. On a bien de la peine à conserver parmi les hommes les registres de la bienfaisance sans falsification et avec quelque exactitude. À la fin du recueil on lit des anecdotes sur Fréron ; il est aisé de reconnaître la main qui a daigné tracer l’histoire des mœurs, faits et gestes de ce folliculaire, qui vient encore d’être emprisonné pour insulte faite au peintre Casanove[1]. J’ai appris par ces Anecdotes que Fréron a volé un couteau au chirurgien Louis ; et ce fait, ainsi que les autres détails de sa vie, m’a paru infiniment important pour l’histoire littéraire de ce xviiie siècle.

— L’abbé Trublet, chanoine et archidiacre de Saint-Malo, l’un des Quarante de l’Académie française, mourut à Saint-Malo, sa patrie, le 14 du mois passé. Il laisse par sa mort une place vacante à l’Académie, qui sera sans doute donnée à M. de Saint-Lambert[2]. L’abbé Trublet n’était pas jeune. Il était juré peseur d’œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée, pour me servir de l’expression de M. de Voltaire. Sa prétention était d’être fin comme l’ambre ; il mettait dans son petit style la recherche que les coquettes mettent dans leur parure ; mais son pinceau n’était pas large, et son petit coloris excitait toujours l’idée de mesquinerie et de bassesse. Au reste, la connaissance de sa personne pouvait influer sur la sensation que faisaient ses livres. Il avait la figure ignoble et déplaisante, l’air pauvre et malpropre ; il était flagorneur et bas dans ses manières ; de sorte que sa personne était beaucoup plus méprisée que ses ouvrages. Avec cette tournure aimable, l’abbé Trublet prétendait avoir eu beaucoup de bonnes fortunes, et cela n’est pas physiquement impossible : il ne s’agit que de savoir à quel étage[3].

  1. Cette insulte consistait en une appréciation sévère, mais nullement outrageante, des tableaux de Casanove au salon de 1769 (Voyez l’Année littéraire, 1769, tome V, p. 300). Fréron y parle de la façon de peindre « peu durable » de l’artiste ; mais il s’agit des couleurs qu’il emploie et non de sa gloire ; plus bas, il reproche à Casanove des terrains « peints au caramel » et des feuillages semblables à des « confitures de verjus ». La susceptibilité du peintre et ses conséquences sont une nouvelle preuve de l’étrange manière dont on comprenait alors les droits de la critique.
  2. Cette conjecture se réalisa. Saint-Lambert remplaça Trublet.
  3. On lit dans une lettre de d’Alembert à Voltaire, du 2 septembre 1760 : « L’abbé Trublet prétend avoir fait autrefois beaucoup de conquêtes par le confes-