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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/506

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Ses mœurs subalternes l’avaient attaché au char de M. de Fontenelle et de La Motte-Houdart, dont il s’était fait le valet. Il faisait consister sa gloire à savoir et à raconter avec précision comment Fontenelle toussait et crachait. Il a publié après la mort de cet homme illustre un gros Fontenelliana[1], qui est un chef-d’œuvre pour la platitude, les détails munitieux et les pauvretés qui y sont rapportées avec une prétention à mourir de rire. L’abbé Trublet prétendait être fin et ingénieux dans ses tournures et jusque dans la manière de placer ses virgules et ses points ; il y a dans ses ponctuations une dépense d’esprit effrayante : c’était une bête de beaucoup d’esprit. Cela me rappelle le mot de Mme Geoffrin. On disait un jour devant elle que l’abbé Trublet était pourtant un homme d’esprit : elle se mit en colère, et dit que ce n’était qu’une bête frottée d’esprit ; qu’à la vérité on lui avait mis de cette écume partout. Elle prétend que les hommes sont un composé de plusieurs petits pots ; qu’il y a le petit pot d’esprit, le petit pot d’imagination, le petit pot de raison, la grande marmite de pure bêtise. Le destin prend de chacun de ces petits pots ce qu’il lui plaît, et en compose un ensemble qui forme la tête d’un homme. Suivant les Mémoires de Mme Geoffrin, le destin, voulant faire un abbé Trublet, ne puisa que dans la grande marmite ; ensuite, craignant d’en avoir trop pris, il ouvrit le petit pot d’esprit, qui bout toujours et qui jette par conséquent de l’écume. Le destin, croyant puiser dans ce pot, n’en attrapa que l’écume, et en barbouilla le fond de pure bêtise de l’abbé Trublet. Cela a l’air d’un conte de magie et de sortilège ; mais c’est toujours un conte bien moral. Le meilleur ouvrage de cet archidiacre c’est ses Essais de littérature, de philosophie et de morale, en plusieurs volumes[2]. Je les ai lus trop jeune pour oser en hasarder ici mon avis ; je crois

    sionnal, lorsqu’il était prêtre habitué à Saint-Malo. Il me dit un jour qu’en prêchant aux femmes de la ville, il avait fait tourner toutes les têtes ; je lui répondis : C’est peut-être de l’autre côté. »

  1. Cet ouvrage avait pour véritable titre : Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de M. de Fontenelle, Amsterdam, 1759, in-12. Il se composait en très-grande partie d’articles précédemment insérés dans le Mercure. On a publié, en 1801, Fontenelliana, ou Recueil des bons mots, réponses ingénieuses, etc., de Fontenelle, par C. d’Av. (Cousin d’Avalon) ; Paris, an IX, in-18. (T.)
  2. Ces Essais eurent plusieurs éditions augmentées. La première, qui parut en 1736, Paris, Briasson, ne formait qu’un volume in-12. (T.)