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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/507

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néanmoins que si l’abbé Trublet avait voulu s’en tenir à un ou deux volumes de ces Essais, sans jamais rien imprimer d’ailleurs, il aurait peut-être passé pour un écrivain estimable. Mais il ne sut pas s’arrêter, et ses derniers volumes sont très inférieurs aux premiers. Il allait ramassant de droite et de gauche ce qu’il entendait dire, et en faisait le soir des paragraphes pour ses Essais. Il dit un jour qu’il se faisait fort d’en donner un volume tous les six mois ; l’abbé de Canaye, qui était présent, et qui est malin, lui répondit : « C’est suivant les gens qu’on voit. » Maupertuis prétendait que les Essais de l’abbé Trublet avaient une si grande réputation en Allemagne que les maîtres de poste refusaient des chevaux à ceux qui ne les avaient pas lus. Dans un de ces volumes d’Essais, l’abbé Trublet se mit à faire une dissertation pour découvrir les raisons de l’ennui que causait la lecture de la Henriade. C’est cette dissertation qui est la véritable source de l’immortalité de l’abbé Trublet. L’auteur de la Henriade ne voulut pas manquer de reconnaissance envers le laborieux dissertateur, et le fourra, depuis ce moment-là, dans ses petits écrits : le portrait de l’abbé Trublet, dans le Pauvre Diable, est un chef-d’œuvre qui durera autant que littérature française. L’abbé Trublet n’avait d’autre grief contre les vers de M. de Voltaire que d’y être traité de diacre, tandis qu’il était archidiacre[1] ; et le patriarche répondait à cela : « Je lui demande pardon ; j’ai tort, je le croyais dans les moindres. » L’abbé Trublet brigua pendant environ vingt ans l’honneur d’être de l’Académie française[2], et cette constance contribua beaucoup à le rendre ridicule. À chaque vacance, il arrivait à Paris en toute diligence, par le coche de Saint-Malo, faisait ses visites, n’obtenait pas la place, et s’en retournait après l’élection. Un jour Piron, qui ne demeurait pas loin de Fontenelle, met sa tête à la fenêtre : il voit sortir un enterrement de la porte de Fontenelle ; il ferme la fenêtre, et écrit d’office à l’abbé Trublet d’arriver et de solliciter la place vacante. Trublet arrive par le coche, trouve Fontenelle en bonne santé, et point de place vacante : c’était M. Daube, neveu de M. de Fontenelle qu’on por-

  1. Ce n’est pas dans le Pauvre Diable, mais dans la satire intitulée le Russe à Paris, que Trublet est traité de diacre (vers 104) ; mais la qualité d’archidiacre lui est restituée dans l’Épître sur l’agriculture (vers 84). (T.)
  2. Trublet se mit sur les rangs dès 1736, et ne fut reçu qu’en 1761. (T.)