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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/508

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tait en terre ; ce M. Daube dont il est dit dans le Discours sur les disputes :


Auriez-vous par hasard connu feu monsieur Daube
Qu’une ardeur de dispute éveillait avant l’aube ?


Piron s’était mis dans la tête que l’oncle, âgé de cent ans, devait mourir avant le neveu âgé de cinquante, et le client Trublet en fut cette fois-ci pour ses frais de coche. Il entra enfin à l’Académie sans dire gare, et lorsque personne ne s’y attendait. Il s’était fait un parti parmi les dévots ; il avait travaillé quelque temps au Journal chrétien ; il avait trouvé le moyen de faire savoir à la reine que son zèle et ses travaux pour la religion lui avaient attiré la haine des philosophes, et que les stigmates dont il avait été marqué dans le Pauvre Diable prouvaient à quel point il était martyr de la bonne cause. Le cœur chrétien de la feue reine en fut ému ; on forma une petite cabale ; le président Hénault se chargea de la conduire ; le secret fut bien gardé, et l’abbé Trublet eut la pluralité des voix, au grand étonnement de la plupart des académiciens. Puisque l’approche du jubilé est un temps de confession et de rémission, nous devons encore nous accuser, moi et quelques autres vauriens, de nous être amusés pendant longtemps aux dépens de l’abbé Trublet, en faisant le soir dans nos conciliabules son roman littéraire avec une grande vérité. Nous avions supposé que, s’offrant à chaque vacance, il avait toujours quarante éloges tout prêts, dans l’espérance de succéder à un des Quarante, sans acception de personne ; de sorte que dès qu’il avait manqué une place, il s’en retournait faire l’éloge de celui qui l’avait obtenue. Nous voulions un jour lui faire perdre son portefeuille sur le grand chemin de Paris à Saint-Malo, le ramasser et le faire imprimer. Il ne s’agissait que de faire, dans le goût de l’abbé Trublet, quarante éloges funèbres des quarante académiciens vivants ; cela pouvait être infiniment gai et très-plaisant ; ce qu’il y a de sûr, c’est que cela nous amusa fort longtemps. On lisait à la tête de chaque éloge : Au cas que je succède à monsieur un tel. L’abbé Trublet, après avoir obtenu le but de tous ses désirs, éprouva que rien n’était plus funeste à l’homme que de n’avoir plus rien à désirer ; il tomba dans l’ennui et dans la langueur. Il y a plus de cinq ans qu’il a totalement abandonné le théâtre