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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/509

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de ses souffrances et de son triomphe, et qu’il s’est retiré dans sa patrie pour y jouir en paix de la considération attachée, en province, au titre d’académicien de la capitale. À sa réception à l’Académie, il envoya son discours, en qualité de confrère, à M. de Voltaire. Ce procédé toucha le patriarche : il fit sa paix avec l’archidiacre, et cette paix a été inviolablement observée. Oncques depuis l’abbé Trublet ne s’est trouvé fourré dans les petits pamphlets de Ferney. Vous connaissez depuis longtemps l’instrument de paix entre le patriarche de Ferney et l’archidiacre de Saint-Malo, ensemble la ratification de ce dernier[1].

M. de Joly, ancien avocat au Parlement, vient de publier les Pensées de l’empereur Marc-Aurèle Antonin, ou Leçons de vertu que ce prince philosophe se faisait à lui-même ; nouvelle traduction du grec, distribuée en chapitres suivant les matières, avec des notes et des variantes ; volume grand in-8° d’environ cinq cents pages. Ce M. de Joly est fort vieux. Depuis qu’il a quitté le barreau, il est conseiller au conseil de M. le duc d’Orléans, et, à ce titre, il a eu une charge dans la capitainerie royale de ce prince : ce qui lui a fait faire un catéchisme par demandes et par réponses, à l’usage des gardes-chasse de la capitainerie. Dans ce catéchisme on n’apprend pas à faire la guerre à Satan, au vieil homme, au monde et à ses pompes, mais aux lapins, aux lièvres et aux braconniers. Je n’aurais pas deviné en mille ans qu’un faiseur de catéchisme de gardes-chasse employât ses veilles à traduire le catéchisme des stoïciens. Cette singularité n’est pas la seule M. de Joly a mis à la tête de sa traduction une Vie de Marc-Aurèle. Effacez de ce précis le nom de Marc-Aurèle : substituez-lui le nom de quelque prince goth ou vandale, et vous ne vous douterez jamais de lire la vie d’un des plus grands et des meilleurs princes qui aient gouverné l’empire romain. Pas un trait qui caractérise le grand homme, le philosophe, l’homme vertueux ! Comment passe-t-on des années entières avec un philosophe qui a tant d’élévation, tant de sagesse, tant de dignité, sans se sentir élever, échauffer, embraser ? Cela me confond. M. de Joly a adopté pour base de sa version celle que nous avons de M. et

  1. Voyez la lettre de M. de Voltaire à l’abbé Trublet, en date du 22 avril 1761. (Premiers éditeurs.) — Grimm prend ici le mot instrument dans son acception de procédure, dans le sens d’acte, du latin instrumentum, qui se trouve souvent dans les Pandectes, et qu’un pauvre traducteur a rendu par le mot outil. (T.)