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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 8.djvu/511

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tels exemples doit avoir quelque avantage sur celui qui n’a entendu parler que de la fermeté de saint Jean de Népomuk[1].

M. de Joly, dans une de ses notes sur Marc-Aurèle, trouve bien étrange que de tant de législateurs qu’il y a eu jusqu’à présent dans le monde, pas un seul n’ait fait, pour le repos et le bonheur des sociétés humaines, la plus utile de toutes les lois. Or, devinez quelle est cette loi ? C’eût été d’ordonner aux hommes, sous les peines les plus sévères, qu’ils eussent à contenir dans de justes bornes leur curiosité naturelle, et leur défendre absolument de parler et d’écrire sur des choses qui passent la portée de l’esprit humain. Voilà les oracles de M. de Joly assis sur son trépied : s’il avait été fidèle à cette loi, il n’aurait de sa vie ni traduit ni commenté Marc-Aurèle. Rempli de l’esprit de sagesse qui anime M. de Joly, je m’étonne, à son exemple, que, de tant de législateurs, aucun n’ait porté une loi qui défende, sous les peines les plus sévères, à certaines gens de voyager, et surtout de nous faire part des remarques qu’ils ont faites dans le cours de leurs voyages. Si cette loi eût été en vigueur, jamais M. Grosley, avocat et bel esprit de Troyes en Champagne, n’eût osé sortir de la banlieue de sa patrie, et nous ne serions pas molestés de la relation de ses voyages. Il a publié, il y a plusieurs années, un détestable Voyage d’Italie, sous le nom de deux gentilshommes suédois. Depuis ce temps il a apparemment fait une course à Londres, et voilà sa rapsodie anglaise qui vient de paraître sous le titre de Londres, trois volumes in-12, ornés d’un plan de cette capitale. Si voulez un recueil d’observations triviales et bourgeoises, de froides et mauvaises plaisanteries, vous lirez la rapsodie anglaise de M. Grosley. J’en parle avec impartialité et sans humeur, car, Dieu merci, je ne l’ai pas lue[2] ; mais apparemment qu’il ne lui est pas venu une autre tête entre ses épaules depuis qu’il a fait son Voyage

  1. Chanoine de Prague, né à Népomuk, en Bohême, vers le commencement du xive siècle. Il fut jeté à la rivière et canonisé pour n’avoir pas voulu révéler au roi Wenceslas la confession de sa femme. (Premiers éditeurs.)
  2. On trouve à la fin du troisième volume des Œuvres inédites de Grosley, Paris, 1813, une Réfutation de cette critique de Grimm par l’éditeur du recueil, M. Patris-Debreuil. Il décline la compétence de Grimm, qui avoue n’avoir pas lu Londres, et lui oppose les jugements favorables à cet ouvrage de Mme du Deffand, Lalande, Mirabeau et Palissot. Il se console aussi des mépris de Grimm pour son auteur en rappelant que Voltaire le traitait d’écrivain savant et ingénieux. (T.)