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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/116

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successeur, La Borde, n’a pas suivi le même système, il a gardé pour lui tous les profits ; il est vrai qu’il a fait une fortune infiniment plus rapide, mais son nom n’aura jamais dans le commerce le poids et la vénération de celui de Montmartel. Après la paix de 1748, Duverney donna à Mme de Pompadour le projet de l’École royale militaire, qui fut adopté. Il a conservé jusqu’à sa mort l’inspection et l’intendance générale de cet établissement ; son gouvernement était orageux et sujet à des révolutions. Homme de tête, sans beaucoup d’étendue, il avait un de ces caractères dont on peut dire, avec une égale vérité, beaucoup de bien et beaucoup de mal. Au commencement de la guerre de 1756 il s’était entêté d’un fusil tirant je ne sais combien de coups par minute : il voyait le salut de la France au bout de son fusil, et ma foi, il y est resté. Duverney est mort dans un âge très-avancé.

— Nous venons de perdre le créateur de la chimie en France ; Guillaume-François Rouelle, apothicaire, démonstrateur en chimie au Jardin du roi, des Académies royales des sciences de Paris et de Stockholm, est mort au commencement de ce mois après une maladie longue et douloureuse. Rouelle était un homme de génie sans culture ; avant lui on ne connaissait en France que les principes de Lémery : c’est lui qui introduisit la chimie de Stahl, et fit connaître ici cette science dont on ne se doutait point, et qu’une foule de grands hommes ont portée en Allemagne à un haut degré de perfection. Rouelle ne les savait pas tous lire ; mais son instinct était ordinairement aussi fort que leur science. Il doit donc être regardé comme le fondateur de la chimie en France ; et cependant son nom passera, parce qu’il n’a jamais rien écrit, et que ceux qui ont écrit de notre temps des ouvrages estimables sur cette science, et qui sont tous sortis de son école, n’ont jamais rendu à leur maître l’hommage qu’ils lui devaient ; ils ont trouvé plus court de prendre, sur le compte de leur propre sagacité, les principes et les découvertes qu’ils tenaient de leur maître : aussi Rouelle était-il brouillé avec tous ceux de ses disciples qui ont écrit sur la chimie. Il se vengeait de leur ingratitude par les injures dont il les accablait dans ses cours publics et particuliers ; et l’on savait d’avance qu’à telle leçon il y aurait le portrait de Malouin, à telle autre, le portrait de Macquer, habillés de toutes pièces.