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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/119

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était démonstrateur aux leçons publiques au Jardin du roi, le docteur Bourdelin était professeur, et finissait ordinairement sa leçon par ces mots : « Comme monsieur le démonstrateur va vous le prouver par ses expériences. » Rouelle prenant alors la parole, au lieu de faire ses expériences, disait : « Messieurs, tout ce que monsieur le professeur vient de vous dire est absurde et faux, comme je vais vous le prouver. » Malheureusement pour M. le professeur, il tenait souvent parole.

Il était d’ailleurs bon Français, plein de zèle et de patriotisme, mais frondeur, aimant les nouvelles quand il n’avait pas ses regards fixés sur un creuset. Au commencement de la dernière guerre, il voulait commander les bateaux plats et aller brûler Londres. Il ne désespérait pas de trouver le moyen de mettre le feu aux escadres anglaises sous l’eau ; c’était un de ses arcanes. Je le rencontrai le lendemain de la bataille de Rosbach ; il était tout écloppé et marchait avec peine. « Eh mon Dieu, que vous est-il donc arrivé, monsieur Rouelle ? lui dis-je. Je suis moulu, me répondit-il, je n’en puis plus ; toute la cavalerie prussienne m’a marché cette nuit sur le corps. » Il traita ensuite nos généraux de plagiaires, et je sentis que ce n’était pas le moment de le faire changer d’avis. Les grands événements politiques et militaires l’affectaient quelquefois assez pour les discuter au milieu de son cours de chimie. Il a compté parmi ses disciples non-seulement tout ce que la France a aujourd’hui d’habiles chimistes, mais encore un grand nombre d’hommes célèbres et de mérite de toutes les classes ; il avait, indépendamment de ses excellents principes en chimie, le secret de tous les hommes de génie : celui de vous faire penser. Le docteur Roux, qui a longtemps étudié sous lui, s’est toujours proposé de recueillir après sa mort ses cahiers, d’y mettre l’ordre et la clarté nécessaires, et de les donner au public comme un bien appartenant à son maître : il sait une bonne partie de ses arcanes, qui seront oubliés avec le nom de leur auteur, si ce projet n’a pas lieu.

— Pierre-Nicolas Bonamy, de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, historiographe et bibliothécaire de la ville de Paris, censeur royal, est mort dans les premiers jours de juillet, âgé de soixante-treize ans. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il était janséniste, et qu’il faisait un ouvrage pério-