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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/129

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sans aucune variation. Il avait écrit le mot de cette énigme, en gros caractères, sur le dos de son papier, et en nous la lisant il montrait ce mot, sans le savoir, à tous ceux qui l’écoutaient. Ma foi, voilà comme il en faut user quand on a des énigmes difficiles à proposer. Si Dieu nous eût traités comme l’étourdi et bon La Condamine, nous ne nous serions pas cassé la tête depuis cinq à six mille ans ; mais c’est se moquer des gens que de les renvoyer au Mercure de l’autre monde pour en savoir le mot.

Le patriarche regarde l’idée d’un être suprême comme un frein utile et nécessaire aux hommes, et surtout aux princes : c’est là le vrai fondement de sa piété ; il craint que l’idée de la Divinité une fois détruite, le puissant n’opprime le faible sans aucun ménagement. Marc-Aurèle fut le modèle des princes ; il gouverna l’empire avec la fermeté d’un héros, la sagesse d’un philosophe et la bonté d’un père, et cependant son attachement aux principes des stoïciens ne lui faisait concevoir qu’un Dieu enchaîné par la nécessité, et par conséquent sans pouvoir comme sans influence. Louis XI fut dévot et craintif ; il voyait le glaive des vengeances célestes toujours suspendu sur sa tête, et cependant sa vie fut un tissu d’horreurs et de crimes. Les hommes naissent bons ou méchants ; le problème consiste à trouver un système, des principes, un frein, si vous voulez, qui empêche les méchants d’être ce qu’ils sont : quand ce frein sera trouvé, il y aura un grand pas de fait vers le bonheur du genre humain. Mais quel est le système qui puisse contenir la méchanceté unie à la puissance ? Le comble du malheur pour les peuples, c’est lorsque dans leur prince la méchanceté est combinée avec l’absurdité de la tête, parce que cette combinaison engendre une foule de crimes inutiles et absurdes, au lieu que le prince éclairé et méchant concevra du moins que la violence et l’injustice ne sont pas d’un bon user journalier, et n’y aura recours que dans les cas les plus extrêmes, c’est-à-dire les plus rares. Au reste, ces malheurs me paraissent sans ressource aussi longtemps que Dieu sera prêché par des prêtres et par des philosophes, et qu’il ne prendra pas le parti de se prêcher lui-même. Le patriarche n’a pas manqué de mettre son cachet à son nouvel écrit, mais ce n’est pas le bon cachet. Il rappelle les anguilles de Needham, le lapin de Bruxelles qui