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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/138

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usurper, ni à aucune de ses prétentions. Dans ce corps, gloire, mérite, succès, service, tout est personnel et exclusif, et je ne vois pas, parce que les lettres et les talents ont procuré à Voltaire une gloire immortelle, qu’aucun homme de lettres doive ou puisse s’en prévaloir. Ce corps n’en est donc pas un, parce que tout corps suppose ou des fonctions publiques ou des qualités préliminaires et communes à tous les membres. Dans un corps d’officiers, par exemple, tous sont obligés d’avoir de la bravoure, des sentiments d’honneur, et une conduite conforme à ces sentiments : mais le corps des gens de lettres renferme à la fois et ce qu’il y a de plus respectable et ce qu’il y a de plus vil. Quand l’homme de lettres s’appelle Montesquieu ou Voltaire, il excite l’admiration, il inspire le respect ; quand il s’appelle Palissot ou Fréron, il excite le mépris ; mais on ne peut pas plus contester à ces derniers leur qualité d’hommes de lettres qu’à ceux qui se sont le plus illustrés dans cette carrière.

C’est bien dommage que nous soyons si bavards ; ce malheur est inévitable dans une capitale de tant de milliers d’oisifs, et où ceux qui naissent avec le plus de talents et de vertus n’ont jamais occasion d’acquérir la connaissance difficile des hommes et des affaires par leur propre expérience. C’est une connaissance dont M. Thomas et ses pareils ne se doutent pas, et dont le défaut réduit l’éloquence à tomber à chaque instant dans les déclamations vides de sens. C’est cette connaissance qui est le porro unum necessarium, qui mûrit l’esprit, qui lui donne cette gravité des anciens inconnue parmi nous, qui le dégoûte de l’abondance fastidieuse de mots qui ne signifient rien en dernière analyse, quelques ronflants et harmonieux qu’ils soient à l’oreille, et qui ôte à l’orateur je ne sais quel enfantillage dont les enfants qui l’écoutent sont épris, mais qui déplaît aux hommes de sens et d’un goût véritable. N’est-ce pas une calamité déplorable que de voir nos meilleurs esprits, nos plus honnêtes gens, et M. Thomas tout le premier, traiter un sujet dans toute son étendue, et de s’apercevoir à chaque pas que l’auteur n’ayant nulle connaissance des hommes, ne les voyant jamais tels qu’ils sont, mais tels qu’il a plu à son imagination de les créer, n’a pas seulement compris l’état de la question sur laquelle il se permet de discuter ?

À la séance publique de l’Académie française, le 25 auguste dernier, M. Thomas avait lu un Éloge de l’empereur Marc--