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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/145

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dien anglais, il vous jurera by god qu’il n’y a pas un mot à en rabattre, que c’est l’évangile du théâtre. Cependant, mon ami, puisqu’il n’y a presque rien de commun entre la manière d’écrire la comédie et la tragédie en Angleterre, et la manière dont nous écrivons ces poëmes en France ; puisqu’au jugement même de Garrick, celui qui sait rendre parfaitement une scène de Shakespeare ne sait pas le premier mot de la déclamation d’une scène de Racine, et réciproquement, il est évident que l’acteur français et l’acteur anglais, qui conviennent l’un et l’autre de la vérité des principes de l’auteur dont je vous rends compte, ne s’entendent pas, et qu’il y a dans la langue technique de leur métier un vague, une latitude assez considérables pour que deux hommes d’un sentiment diamétralement opposé ne puissent y reconnaître la vérité. Et demeurez plus que jamais attaché à votre maxime : Nil explicare. Ne vous expliquez point, si vous voulez vous entendre[1].

Cet ouvrage, intitulé Garrick, a donc deux sens très-distincts, tous les deux renfermés sous les mêmes signes, l’un à Londres, l’autre à Paris ; et ces signes présentent si nettement ces deux sens, que le traducteur s’y est trompé, puisqu’en fourrant tout en travers de sa traduction les noms de nos acteurs français à côté des noms des acteurs anglais, il a cru sans doute que les choses que son original disait des uns étaient également applicables aux autres. Je ne connais pas d’ouvrage où il y ait autant de vrais contre-sens que dans celui-ci ; les mots y énoncent assurément une chose à Paris, et toute une autre chose à Londres.

Au reste, je puis avoir tort ; mais j’ai d’autres idées que l’auteur sur les qualités premières d’un grand acteur. Je lui veux beaucoup de jugement ; je le veux spectateur froid et tranquille de la nature humaine ; qu’il ait par conséquent beaucoup de

  1. C’est depuis longtemps le premier de mes aphorismes, et chaque jour m’en confirme l’utilité et la sagesse. Mais l’emploi des mêmes mots, par deux hommes qui expriment des idées si diverses sur la même chose, ne vient-il pas plutôt de ce que les principes généraux sont une espèce de patron qui va à tout habit ? Demandez à un vieux partisan de la musique de Lulli et à un homme de goût, passionné pour la musique de Grétry, quels sont les caractères d’une bonne musique, ils se serviront tous deux des mêmes termes ; mais, dans l’application, l’un niera que la musique sur laquelle l’autre s’extasie ait aucun des caractères qu’il lui attribue. (Grimm.)