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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/170

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porter tout ce qu’il pouvait avoir de forces sur les frontières, c’est-à-dire dans les provinces de son gouvernement. Il s’assure en même temps de tous les grands de l’État, ou du moins des principaux, fatigués depuis longtemps de l’autorité d’un roi méprisé. Lorsque sa partie est bien liée, il se fait écrire, de son gouvernement, que sa femme est mourante ; il obtient la permission d’y aller, et d’emmener sa fille avec lui pour recevoir les derniers adieux de sa mère. L’imprudent Rodrigue ne se doutait point de l’orage qui se formait sur sa tête ; il éclata dès que le comte Julien fut de retour dans son gouvernement. Non content d’avoir dépouillé le roi de ses moyens de défense, il fit son traité avec les Sarrasins, leur donna l’entrée du royaume, et leur aplanit le chemin à des conquêtes qui les mirent en possession des plus belles provinces de l’Espagne. Rodrigue fut vaincu, et périt dans le combat ou dans la fuite. L’histoire lui fait du moins l’honneur de remarquer qu’il ne perdit pas sa couronne sans avoir montré de la valeur dans cette dernière scène de son rôle.

Voilà par quelles voies incompréhensibles la Providence permit l’établissement des infidèles dans un des plus beaux royaumes de l’Europe, dont ils possédèrent les plus belles provinces pendant plusieurs siècles. Vous savez de quelles voies se servit ensuite cette même Providence pour exterminer les Maures, lorsque leur temps fut venu, et pour rendre ces provinces à ses enfants chéris, les chrétiens catholiques, apostoliques et romains ; et vous savez aussi comme quoi de ces voies sages et douces est résultée une dépopulation dont l’Espagne n’a jamais pu se relever, et qui lui a procuré encore plus de biens spirituels que la France n’en a recueilli de la révocation de l’édit de Nantes. L’histoire du comte Julien et de la belle Cava, et de leur fin respective, n’est pas aussi connue que ces faits on présume en général que le comte n’a pas été maître de borner sa vengeance ni de fixer le terme des conquêtes de ses alliés. Quant à la belle Cava, on ignore si elle s’est consolée de l’aventure du jardin de la reine ; mais si ma mémoire ne me trompe, il me semble que cette reine devint aussi la proie du vainqueur, et qu’elle ne fut pas trop mécontente de voir succéder, dans son lit, un prince sarrasin à ce vilain Rodrigue qui se donnait les airs de faire le petit David en Espagne. Comme nous