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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/175

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croirai un homme important, et il ne faudra qu’une comète ou quelque éclipse qui m’honore de son attention pour achever de me tourner la tête.

« Mais tout cela n’était pas nécessaire pour rendre justice à Voltaire ; une âme sensible et un cœur reconnaissant suffisaient ; il est bien juste que le public lui paie le plaisir qu’il en a reçu. Aucun auteur n’a jamais eu un goût aussi perfectionné que ce grand homme. La profane Grèce en aurait fait un dieu : on lui aurait élevé un temple. Nous ne lui érigeons qu’une statue, faible dédommagement de toutes les persécutions que l’envie lui a suscitées, mais récompense capable d’échauffer la jeunesse et de l’encourager à s’élever dans la carrière que ce grand génie a parcourue, et où d’autres génies peuvent trouver encore à glaner. J’ai aimé dès mon enfance les arts, les lettres et les sciences ; et lorsque je puis contribuer à leurs progrès, je m’y porte avec toute l’ardeur dont je suis capable, parce que, dans ce monde, il n’y a point de vrai bonheur sans elles. Vous autres qui vous trouvez à Paris dans le vestibule de leur temple, vous qui en êtes les desservants, vous pouvez jouir de ce bonheur inaltérable, pourvu que vous empêchiez l’envie et la cabale d’en approcher.

« Je vous remercie de la part que vous prenez à cet enfant qui nous est né. Je souhaite qu’il ait les qualités qu’il doit avoir, et que, loin d’être le fléau de l’humanité, il en devienne le bienfaiteur[1]. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

« Signé : Frédéric. »

— Sur la réponse de M. d’Alembert au roi de Prusse : Un écu, sire, et votre nom[2], Sa Majesté a fait payer deux cents écus d’Allemagne pour sa souscription. Le roi de la zone cimbrique, vulgairement dit le roi de Danemark, a depuis aussi fait payer deux cents louis pour la statue du grand patriarche ; ainsi cette entreprise devient royale et littéraire à la fois. Sa Majesté danoise n’a pas eu égard à cette dernière dénomination ;

  1. Cet enfant, né dans la famille de Prusse, et pour l’avenir duquel Frédéric II forme ici ces vœux, est le roi Frédéric-Guillaume III, né le 3 août 1770, petit-neveu du grand Frédéric, mort en 1840.
  2. Lettre de d’Alembert à Frédéric, du 12 août 1770.