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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/176

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sans quoi elle aurait réduit sa souscription de cinq sixièmes ; car il s’agissait surtout de se rapprocher, par la modicité de la somme, de la condition de ceux avec qui on ne dédaigne pas de concourir à cette entreprise déjà devenue illustre. Actuellement il y a bien plus de fonds qu’elle n’en demande. On pourra employer le surplus à faire faire en plâtre, pour chaque souscripteur, un modèle réduit de la grande figure en marbre ; mais la cour des pairs écoute toutes ces propositions sans s’expliquer aucunement, ni sur la place de la statue, ni sur l’usage qu’elle fera du surplus des fonds de cette entreprise, et dont elle se réserve de rendre compte en temps et lieu aux intéressés ; elle n’a pas encore défendu au notaire de recevoir les souscriptions de ceux qui se présentent.

En attendant, le patriarche a reçu, en son château de Ferney, trois visites d’un caractère fort divers. M. Séguier, avocat général, après avoir publié son beau réquisitoire, et avoir caché autant qu’il a pu son bel exploit contre M. Thomas, a fait un voyage en Languedoc, et n’a pas voulu passer la distance de trente lieues du siège patriarcal sans y faire une station ; elle ne l’a pas préservé de l’attention d’être fourré dans l’Épître à l’empereur de la Chine. Le jour même de son départ de Ferney, M. d’Alembert y est arrivé le soir avec le marquis de Condorcet, géomètre, de l’Académie des sciences ; s’il était arrivé quelques heures plus tôt, il aurait pu embrasser son confrère Séguier. Et le jour du départ de M. d’Alembert, Mme Calas a couché au château de Ferney, dans l’asile de son généreux et infatigable défenseur, avec ses deux filles et son gendre, chapelain de la chapelle de Hollande à Paris. Le patriarche m’a écrit au sujet de cette visite la lettre suivante :


« Ferney, le 10 octobre 1770.

« Mon cher prophète, je suis le bonhomme Job ; mais j’ai eu des amis qui sont venus me consoler sur mon fumier, et qui valent mieux que les amis de cet Arabe. Il est très-peu de gens de ces temps-là, et même de ces temps-ci, qu’on puisse comparer à M. d’Alembert et à M. de Condorcet ; ils m’ont fait oublier tous mes maux. Je n’ai pu malheureusement les retenir plus longtemps. Les voilà partis, et je cherche ma consolation