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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/195

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D’Arnaud est devenu un des plus grands prédicateurs de vertu par la voie des romans à grands sentiments et à estampes ; il a beaucoup de vogue parmi les couturières et les marchandes de modes, et s’il peut mettre les femmes de chambre dans son parti, je ne désespère pas de sa fortune.


15 décembre 1770.

L’année qui va finir a été fatale aux Deux Amis ; ils se sont montrés sur la scène comme deux financiers et deux commerçants de Lyon[1], en contes comme deux Iroquois [2], en romans comme deux je ne sais quoi[3] ; et Dieu merci, ils ont été sifflés partout. Deux amis, affligés de voir de quelle manière on traitait en France leurs semblables par la faute de nos faiseurs de drames, de nos faiseurs de contes et de nos faiseurs de romans, s’en allèrent au mois d’août dernier passer quinze jours aux bains de Bourbonne, près de Langres, pour y voir deux amies, dont l’une, mère de l’autre, avait mené à ces bains sa fille, jeune, fraîche, jolie et cependant malade, dans l’espérance de lui rendre la santé altérée par les suites d’une première couche. Les deux amis, c’était Denis Diderot le philosophe et moi, trouvèrent les deux amies faisant des contes à leurs correspondants de Paris, pour se désennuyer. Parmi ces correspondants il y en avait un d’une crédulité rare ; il ajoutait foi à tous les fagots que ces dames lui contaient, et la simplicité de ses réponses amusait autant les deux amies que la folie des contes qu’elles lui faisaient. Le philosophe voulut prendre part à cet amusement ; il fit quelques contes que la jeune amie malade inséra dans ses lettres à son ami crédule, qui les prit pour des faits avérés, et assura sa jeune amie qu’elle écrivait comme un ange : ce qui était d’autant plus plaisant qu’une de ses prétentions favorites est de reconnaître, entre mille, une ligne échappée à la plume de notre philosophe. Denis Diderot essaya entre autres de réhabiliter les Deux Amis, et il croira les avoir vengés de toutes les injures que leurs historiens leur ont attirées cette an-

  1. Le drame des Deux Amis de Beaumarchais ; voir tome VIII, p. 441.
  2. Les Deux Amis, conte iroquois (par Saint-Lambert) 1770, in-8o.
  3. Les Deux Amis, ou le Comte de Méralbi (par Sellier de Moranville), 1770, 4 vol.  in-12.