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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/197

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incartade impardonnable ? Mais cela est aisé à deviner. Les lettres impertinentes du poëte Sumarokoff ne parvinrent pas à l’impératrice ; le ministre chargé du département poétique les lut, et donna ses ordres pour mettre monsieur le poëte dans un cul de basse-fosse jusqu’à nouvel ordre, et vraisemblablement il y est encore.

Au diable le conte et le conteur historiques ! c’est un menteur plat et froid. De tels dénoûments sont bons dans les pays vantés pour la douceur et la politesse des mœurs ; il s’en faut bien que la police soit aussi perfectionnée en Russie. Sa Majesté impériale reçut les deux lettres du poëte, et après avoir donné ses ordres dans l’Archipel, en Moldavie, en Crimée, en Géorgie et sur les bords de la mer Noire, elle eut encore le temps de faire la réponse suivante :

« Monsieur Sumarokoff, j’ai été fort étonnée de votre lettre du 28 janvier, et encore plus de celle du 1er février. Toutes deux contiennent, à ce qu’il me semble, des plaintes contre la Belmontia, qui pourtant n’a fait que suivre les ordres du comte Soltikoff. Le feld-maréchal a désiré de voir représenter votre tragédie ; cela vous fait honneur. Il était convenable de vous conformer au désir de la première personne en autorité à Moscou ; mais si elle a jugé à propos d’ordonner que cette pièce fût représentée, il fallait exécuter sa volonté sans contestation. Je crois que vous savez mieux que personne combien de respect méritent des hommes qui ont servi avec gloire, et dont la tête est couverte de cheveux blancs ; c’est pourquoi je vous conseille d’éviter de pareilles disputes à l’avenir. Par ce moyen vous conserverez la tranquillité d’âme qui est nécessaire pour vos ouvrages, et il me sera toujours plus agréable de voir les passions représentées dans vos drames que de les lire dans vos lettres. Au surplus, je suis votre affectionnée.

« Signé : Catherine. »

Je conseille à tout ministre chargé du département des lettres de cachet d’enregistrer ce formulaire à son greffe, et à tout jamais de n’en jamais délivrer d’autres aux poètes et à tout ce qui a droit d’être du genre irritable, c’est-à-dire enfant et fou par état. Après cette lettre, qui mérite peut-être autant