Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Paris, 12 novembre 1764.

« Ne m’en sachez nul gré, monsieur ; ce n’est pas pour vous que je reviens ; vous m’avez mis dans le cœur un poignard que votre vue ne peut qu’enfoncer davantage. Ce n’est pas non plus par attachement à l’ouvrage que je ne saurai que dédaigner dans l’état où il est. Vous ne me soupçonnez pas, je crois, de céder à l’intérêt ; quand vous ne m’auriez pas mis de tout temps au-dessus de ce soupçon, ce qui me revient à présent est si peu de chose qu’il m’est aisé de faire un emploi de mon temps moins pénible et plus avantageux. Je ne cours pas enfin après la gloire de finir une entreprise importante qui m’occupe et fait mon supplice depuis vingt ans ; dans un moment vous concevrez combien cette gloire est peu sûre. Je me rends à la sollicitation de M. Briasson. Je ne puis me défendre d’une espèce de commisération pour vos associés, qui n’entrent pour rien dans la trahison que vous m’avez faite, et qui en seront peut-être avec vous les victimes. Vous m’avez lâchement trompé deux ans de suite ; vous avez massacré ou fait massacrer par une bête brute le travail de vingt honnêtes gens qui vous ont consacré leur temps, leurs talents et leurs veilles gratuitement, par amour du bien et de la vérité, et sur le seul espoir de voir paraître leurs idées et d’en recueillir quelque considération qu’ils ont bien méritée, et dont votre injustice et votre ingratitude les aura privés. Mais songez bien à ce que je vous prédis : à peine votre livre paraîtra-t-il qu’ils iront aux articles de leur composition, et que voyant de leurs propres yeux l’injure que vous leur avez faite, ils ne se contiendront pas, ils jetteront les hauts cris. Les cris de MM. Diderot, de Saint-Lambert, Turgot, d’Holbach, de Jaucourt, et autres, tous si respectables pour vous et si peu respectés, seront répétés par la multitude. Vos souscripteurs diront qu’ils ont souscrit pour mon ouvrage, et que c’est presque le vôtre que vous leur donnez. Amis, ennemis, associés, élèveront leur voix contre vous. On fera passer le livre pour une plate et misérable rapsodie. Voltaire, qui nous cherchera et ne nous trouvera point, ces journalistes et tous les écrivains périodiques, qui ne demandent pas mieux que de nous décrier, répandront dans la ville, dans la province, en pays étrangers, que cette volumineuse compilation, qui doit coûter encore tant d’argent au