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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/221

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public, n’est qu’un ramas d’insipides rognures. Une petite partie de votre édition se distribuera lentement, et le reste pourra vous demeurer en maculatures. Ne vous y trompez pas, le dommage ne sera pas en exacte proportion avec les suppressions que vous vous y êtes permises ; quelque importantes et considérables qu’elles soient, il sera infiniment plus grand qu’elles. Peut-être alors serai-je forcé moi-même d’écarter le soupçon d’avoir connivé à cet indigne procédé, et je n’y manquerai pas. Alors on apprendra une atrocité dont il n’y a pas d’exemple depuis l’origine de la librairie. En effet, a-t-on jamais ouï parler de dix volumes in-folio clandestinement mutilés, tronqués, hachés, déshonorés par un imprimeur ? Votre syndicat sera marqué par un trait qui, s’il n’est pas beau, est du moins unique. On n’ignorera pas que vous avez manqué avec moi à tout égard, à toute honnêteté et à toute promesse. À votre ruine et à celle de vos associés qu’on plaindra, se joindra, mais pour vous seul, une infamie dont vous ne vous laverez jamais. Vous serez traîné dans la boue avec votre livre, et l’on vous citera dans l’avenir comme un homme coupable d’une infidélité et d’une hardiesse auxquelles on n’en trouvera point à comparer. C’est alors que vous jugerez sainement de vos terreurs paniques et des lâches conseils des barbares Ostrogoths et des stupides Vandales qui vous ont secondé dans le ravage que vous avez fait. Pour moi, quoi qu’il en arrive, je serai à couvert. On n’ignorera pas qu’il n’a été en mon pouvoir ni de pressentir, ni d’empêcher le mal quand je l’aurais soupçonné ; on n’ignorera pas que j’ai menacé, crié, réclamé. Si, en dépit de vos efforts pour perdre l’ouvrage, il se soutient, comme je le souhaite bien plus que je ne l’espère, vous n’en retirerez pas plus d’honneur, et vous n’en aurez pas fait une action moins perfide et moins basse ; s’il tombe, au contraire, vous serez l’objet des reproches de vos associés et de l’indignation du public, auquel vous avez manqué bien plus qu’à moi. Au demeurant, disposez du peu qui vous reste à exécuter comme il vous plaira ; cela m’est de la dernière indifférence. Lorsque vous me remettrez mon volume de feuilles blanches, je vous donne ma parole d’honneur de ne le pas ouvrir que je n’y sois contraint pour l’explication de vos planches. Je m’en suis trop mal trouvé la première fois : j’en ai perdu le boire, le manger et le sommeil. J’en ai pleuré de rage