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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/222

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en votre présence : j’en ai pleuré de douleur chez moi, devant votre associé, M. Briasson, et devant ma femme, mon enfant et mon domestique. J’ai trop souffert, et je souffre trop encore pour m’exposer à recevoir la même peine. Et puis, il n’y a plus de remède. Il faut à présent courir tous les affreux hasards auxquels vous nous avez exposés. Vous m’aurez pu traiter avec une indignité qui ne se conçoit pas ; mais en revanche vous risquez d’en être sévèrement puni. Vous avez oublié que ce n’est pas aux choses courantes, sensées et communes que vous deviez vos premiers succès, qu’il n’y a peut-être pas deux hommes dans le monde qui se soient donné la peine de lire une ligne d’histoire, de géographie, de mathématiques et même d’arts, et que ce qu’on y a recherché et ce qu’on y recherchera, c’est la philosophie ferme et hardie de quelques-uns de vos travailleurs. Vous l’avez châtrée, dépecée, mutilée, mise en lambeaux, sans jugement, sans ménagement et sans goût. Vous nous avez rendus insipides et plats. Vous avez banni de votre livre ce qui en a fait, ce qui en aurait fait encore l’attrait, le piquant, l’intéressant et la nouveauté. Vous en serez châtié par la perte pécuniaire et par le déshonneur ; c’est votre affaire : vous étiez d’âge à savoir combien il est rare de commettre impunément une vilaine action ; vous l’apprendrez par le fracas et le désastre que je prévois. Je me connais ; dans cet instant, mais pas plus tôt, le ressentiment de l’injure et de la trahison que vous m’avez faites sortira de mon cœur, et j’aurai la bêtise de m’affliger d’une disgrâce que vous aurez vous-même attirée sur vous. Puissé-je être un mauvais prophète ! Mais je ne le crois pas : il n’y aura que du plus ou du moins, et avec la nuée de malveillants dont nous sommes entourés et qui nous observe, le plus est tout autrement vraisemblable que le moins. Ne vous donnez pas la peine de me répondre. Je ne vous regarderai jamais sans sentir mes sens se retirer, et je ne vous lirai pas sans horreur.

« Voilà donc ce qui résulte de vingt-cinq ans de travaux, de peines, de dépenses, de dangers, de mortifications de toute espèce ! Un inepte, un Ostrogoth détruit tout en un moment : je parle de votre boucher, de celui à qui vous avez remis le soin de nous démembrer. Il se trouve, à la fin, que le plus grand dommage que nous ayons souffert, que le mépris, la honte, le discrédit, la ruine, la risée, nous viennent du principal