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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/224

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marginales dont il est chargé, je ne balancerais pas à vous le faire jeter au milieu de votre boutique. Encore s’il était possible d’obtenir de vous les épreuves, afin de transcrire à la main les morceaux que vous avez supprimés ! La demande est juste, mais je ne la fais pas : quand on a été capable d’abuser de la confiance au point où vous avez abusé de la mienne, on est capable de tout. C’est mon bien pourtant, c’est le bien de vos auteurs que vous retenez. Je ne vous le donne pas ; mais vous, vous le retiendrez, quelque serment que je vous fasse de ne l’employer à aucun usage qui vous soit le plus légèrement préjudiciable. Je n’insiste pas sur cette restitution qui est de droit ; je n’attends rien de juste ni d’honnête de vous.

« P. S. Vous exigez que j’aille chez vous, comme auparavant, revoir les épreuves ; M. Briasson le demande aussi : vous ne savez ce que vous voulez ni l’un ni l’autre ; vous ne savez pas combien de mépris vous aurez à digérer de ma part : je suis blessé pour jusqu’au tombeau. J’oubliais de vous avertir que je vais rendre la parole à ceux à qui j’avais demandé et qui m’avaient promis des secours, et restituer à d’autres les articles qu’ils m’avaient déjà fournis, et que je ne veux pas livrer à votre despotisme. C’est assez des tracasseries auxquelles je serai bientôt exposé, sans encore les multiplier de propos délibéré. Allez demander à votre associé ce qu’il pense de votre position et de la mienne, et vous verrez ce qu’il vous en dira. »

Tel a été le sort de cette grande et célèbre entreprise de l’Encyclopédie. Il n’a jamais été connu que de quatre ou cinq personnes ; mais c’est un sujet bien fécond en réflexions morales, qu’un imprimeur lâche et imbécile se soit fait impunément l’arbitre du travail de tant d’hommes recommandables, auquel l’Impératrice de Russie, à son avènement au trône, avait inutilement offert la protection la plus illimitée, et des secours aussi dignes de la générosité d’une grande princesse que de l’importance de l’entreprise.

La publication de l’Encyclopédie achevée émoussa, comme on l’avait prévu, les armes de ses ennemis ; il n’y avait plus rien à empêcher, ainsi il n’y avait plus de plaisir à persécuter. En revanche, les libraires, ayant su qu’elle avait valu des millions à ceux qui l’avaient entreprise avec l’argent du public, et le