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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/225

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travail ou gratuit ou mal payé de trente philosophes ou littérateurs, se mirent à spéculer de tous côtés, et regardèrent l’Encyclopédie publiée comme un os plein de moelle, et dont tous les chiens affamés pouvaient encore tirer bon parti. Quoique cet ouvrage, même à l’heure qu’il est, ne soit pas achevé, puisqu’il y manque encore quelques volumes de planches, il se forma à Paris, il y a environ trois ans, une nouvelle compagnie de libraires, à la tête de laquelle se trouva Panckoucke, et qui proposa au public, au moyen d’une nouvelle souscription, une nouvelle édition entièrement refondue. Cette proposition était aussi irréfléchie qu’indiscrète. Elle révolta le public avec raison : il fut choqué qu’avant qu’il ait joui d’un ouvrage qu’il avait payé si cher, et qui n’était pas encore achevé, on exigeât de lui de concourir par de nouvelles avances à rendre cette première édition inutile. Je dis que cette proposition était irréfléchie, parce que la liberté de la presse était plus que jamais gênée en France, et que les nouveaux entrepreneurs n’avaient que le choix, ou de faire encore plus platement que l’Ostrogoth Le Breton et compagnie, ou de s’exposer à de nouvelles persécutions qui auraient arrêté l’édition à tout instant. Heureusement M. Diderot ne se laissa pas rengager dans cette nouvelle entreprise, pour laquelle le public ne souscrivit point. Mais M. Panckoucke et ses associés avaient déjà acheté les planches de la première édition de l’Encyclopédie pour deux cent cinquante mille livres. Voyant leur projet manqué, ils en formèrent un plus sage : ils proposèrent au public de réimprimer la première édition telle qu’elle avait été publiée, et d’ajouter, par forme de supplément, autant de volumes qu’il en faudrait pour corriger les fautes, réparer les omissions, et refaire ou contrôler les articles mal faits ou fautifs ; et ces volumes de supplément devaient se vendre aussi séparément aux propriétaires de la première édition. Mais enfin, ce que j’avais prédit, ce que tout homme sensé pouvait prévoir, est arrivé. L’année dernière, l’assemblée du clergé, ayant reçu l’inspiration du Saint-Esprit aux Grands-Augustins, se plaignit au roi de cette nouvelle réimpression on saisit chez Panckoucke les trois premiers volumes réimprimés, et ils sont encore aujourd’hui à la Bastille, sans aucune espérance d’être délivrés.

Je ne parle ici ni de l’édition qu’on a faite de l’Encyclo-