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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/242

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après plusieurs années d’un travail sans relâche, il s’était vu ruiné tout d’un coup et de fond en comble par un enchaînement de malheurs et de pertes. Le désespoir conduisait l’un ; et le dégoût, l’ennui de la vie, entraînaient l’autre. Tous deux, jeunes encore, furent frappés d’être arrivés sur la même place, pour le même dessein, par deux routes si diverses. L’homme dégoûté dit à l’autre « Il n’y a point de remède à mon mal, il y en a au vôtre. Je suis riche, je puis finir tous vos malheurs en vous donnant une partie de mon bien j’aurai du moins fait une bonne action avant de me noyer, et vous n’aurez plus de motif pour vous donner la mort. » Le désespéré goûta le projet de l’ennuyé ; mais l’ennuyé n’eut pas sitôt sauvé la vie au désespéré qu’il n’eut plus envie de finir la sienne ; sa bonne action lui donna le goût de vivre. Il s’ensuivit de cette rencontre une liaison très-tendre entre les deux candidats de la Tamise : l’un donna sa fille à l’autre en mariage, et tous les deux sont aujourd’hui aussi attachés à la vie qu’ils étaient pressés, au moment de leur rencontre, de la quitter.

Quand on a inséré ce conte dans une gazette, on en a tiré tout le parti possible. Cela n’est intéressant que parce que c’est un fait, et qu’on doit être bien aise qu’un fou ait sauvé la vie à un malheureux, et en ait appris le secret d’endurer la vie. Mais il n’y aurait aucun mérite à imaginer de pareilles aventures ; elles cessent d’intéresser dès que l’on peut douter de leur réalité.

Cependant il y a des sujets ingrats et des sujets heureux, et je ne balancerai jamais de mettre l’histoire des deux hommes qui se rencontrent sur le pont de Westminster à la tête des sujets de la première classe. Vraisemblablement M. Fenouillot de Falbaire s’est trouvé des ressources suffisantes dans le génie pour traiter ce sujet sur le théâtre ; mais le public en sifflant, le 12 de ce mois, son Fabricant de Londres, drame en cinq actes et en prose, sur le théâtre de la Comédie-Française, lui a appris qu’il s’est trompé. Ce Fabricant de Londres a donc fait une fin plus malheureuse à Paris que sur le pont de Westminster.

On peut appeler cette pièce le crime de MM. Diderot et Sedaine. Le pauvre Fenouillot a vu le succès du Père de famille et du Philosophe sans le savoir, et il a dit : Faisons le Fabricant de Londres, et cela fera une trinité ; mais le parterre n’a pas voulu reconnaître la profession du Fabricant. L’auteur