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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/256

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un an qu’il a paru[1] ; ce M. Delisle est un ex-oratorien. Vous retrouverez en effet, dans les mélanges ajoutés à la fin de chaque volume de sa traduction, ce ton de prétention et de prédication philosophique qui gagne tous nos brodeurs de littérature, et que vous avez pu remarquer dans sa Philosophie de la nature.

Ceux qui portent M. de La Harpe, et on peut nommer parmi eux Mlle de Lespinasse, MM.. d’Alembert, Saurin, de Saint-Lambert et Suard, ont cru le moment favorable pour essayer de le faire nommer à une des places vacantes de l’Académie française ; mais sa traduction de Suétone, au lieu de devenir un titre d’admission, est devenue plutôt un titre d’exclusion. D’ailleurs si M. de La Harpe a eu quelques fauteurs distingués, la foule de ses ennemis s’est montrée infiniment plus nombreuse et plus active, et les premiers ont été obligés de retirer leurs troupes de peur d’être battus à plate couture[2], et d’attirer à leur protégé une exclusion dans les formes. On a réveillé une ancienne aventure de la jeunesse de M. de La Harpe : étant écolier au collège de Harcourt, il fit, dit-on, des couplets sanglants contre le prin-

  1. Voir tome VIII, p. 510. On attribue cette traduction à Delisle de Sales parce que les noms de Henri Ophelot de la Pause renferment l’anagramme de Philosophe de la nature.
  2. Les épigrammes ne manquèrent pas ; on remarqua dans le nombre celle de Piron :

    Dans l’absence de mon valet
    Un colporteur borgne et bancroche
    Entra jusqu’en mon cabinet,
    Avec force ennui dans sa poche :
    « Les Douze Césars pour six francs,
    Me dit-il, exquis, je vous jure.
    L’auteur, qui connaît ses talents,
    L’a dit même dans son Mercure.
    C’est Suétone tout craché,
    Et traduit… traduit ! Dieu sait comme !
    Ce sont tous les monstres de Rome,
    Qu’on se procure à bon marché.
    De ce recueil pesez chaque homme :
    Des empereurs se vendent bien ;
    Caligula seul vaut la somme,
    Et vous aurez Néron pour rien.
    — Que cent’fois Belzébuth t’emporte !
    Lui dis-je, bouillant de fureur ;
    Fuis avec ton auguste escorte. »
    Et puis de mettre avec humeur,
    Ainsi que leur introducteur,
    Les Douze Césars à la porte.