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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/258

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de causticité, de bonhomie, de finesse et de simplicité. Il est Normand, et il a une place dans le chapitre de la Sainte-Chapelle. Il ne se pique ni de bon ton, ni de belles manières, ni d’un grand usage du monde ; mais il est gai et bon vivant, ayant bien conservé son accent normand, et aimant mieux passer sa vie dans les coteries des artistes que dans le grand monde : il chante de cette voix nasillarde qu’on nomme haute-contre en France. M. Le Gros, premier criailleur en haute-contre de l’Académie royale de musique, qui ne crève pas d’ailleurs d’esprit, s’étant trouvé un jour à souper avec l’abbé Le Monnier, et ayant chanté avec lui, celui-ci lui dit d’un grand sérieux : « Dans trois mois je chanterai bien mieux, parce que je me donnerai trois tons de plus. » Le Gros, fort curieux de savoir comment on pouvait augmenter sa voix à son gré, se laissa persuader qu’en se limant la luette on parvenait à rendre sa voix plus aiguë, plus douce et plus harmonieuse.

— Les amateurs de la littérature ancienne seront un peu consolés des outrages que les auteurs anciens reçoivent de temps en temps de nos traducteurs freluquets, en voyant la superbe et magnifique édition de Tacite qui vient d’être publiée en quatre volumes in-4°, et qui ne fait que paraître. Elle a été soignée par Gabriel Brotier, ex-jésuite, du très petit nombre de ceux qui entendent et cultivent encore le latin en France. Ce savant a non-seulement éclairci le texte latin par des notes, mais il a tenté de remplir les lacunes de Tacite par des suppléments écrits dans la manière de ce grand écrivain. Vouloir égaler Tacite dans sa langue qui n’est plus au nombre des langues vivantes, c’est une entreprise impossible sans doute ; mais dans la décadence totale de la littérature ancienne dont nous sommes menacés, il faut s’applaudir qu’il y ait encore un homme en France capable de tenter une telle entreprise. Je n’ai pas encore eu le temps de jeter les yeux sur ces suppléments ; mais M. Capperonnier, garde de la Bibliothèque du roi, m’a assuré qu’il en était infiniment content. Cette édition de Tacite, sortie de la librairie de Latour, est un monument qui fait honneur à la typographie française ; elle peut lutter contre ce que les Anglais ont fait de plus beau en ce genre, et l’on n’a pas eu besoin d’images ni de mauvaises estampes pour l’embellir. Cette manie des images dont tous nos livres français sont infectés aujourd’hui a