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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/273

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a mis un autre genre de facéties à la mode : c’est de contrefaire à lui tout seul une infinité de phénomènes collectifs. Ainsi, il exécute un motet à grand chœur et à plein orchestre, il se met derrière un paravent, et contrefait le chœur de tout un couvent de religieuses avec un art et une finesse tels que vous jureriez qu’il y en a une douzaine, et que vous devinez jusqu’à l’âge, au caractère et à la physionomie de ces béguines. Une remarque assez générale et assez singulière, c’est que presque tous ces gens qui imitent avec tant d’esprit en ont eux-mêmes très-peu, et quand ils cessent d’être le personnage qu’ils ont choisi, et qui vous amuse tant, ils deviennent insipides et tristes, parce qu’ils ne sont plus qu’eux.

M. de Carmontelle, lecteur de M. le duc de Chartres, a voulu réduire les amusements de société et les facéties en systèmes. C’est lui qui, le premier, a publié des Proverbes dramatiques[1], et, depuis ce temps-là, plusieurs rivaux de sa gloire en embellissent le Mercure tous les mois. Cependant ce qui rend les proverbes supportables en société, c’est la verve et la chaleur avec lesquelles les acteurs improvisent, et qui disparaissent quand ils récitent des choses apprises par cœur ; et puis le dénoûment est presque toujours froid et plat, parce que les auteurs proverbiaux ne se donnent pas la peine d’amener leur proverbe d’une manière ingénieuse et piquante. Carmontelle n’est pas seulement en ce genre d’une fécondité prodigieuse, mais il a encore composé un bon nombre de comédies qu’il regarde comme des pièces de société. Il est lui-même auteur passable ; il dessine fort bien pour un homme dont ce n’est pas le métier : il a du goût, et c’est un des ordonnateurs de fêtes de société le plus employé à Paris. Ses proverbes et ses comédies n’ont qu’un défaut, c’est d’être plats : car, d’ailleurs, il a de la vérité dans ses caractères et du naturel dans son dialogue. Il saisit bien les ridicules, et il a assez de causticité dans l’esprit pour les bien rendre ; mais il croit qu’on n’a qu’à les transporter sur la scène comme on les a remarqués dans le monde, et ce n’est pas cela ; il faut encore cette petite pointe de poésie et de verve qui fait que ce qui est insipide en nature devient exquis et piquant dans l’imitation. Vous copieriez tout le dictionnaire de nos élégants à

  1. 1769, 6 vol.  in-8°.