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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/289

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sable d’aucun propos qui aurait pu m’échapper dans la sécurité d’un premier sommeil.

Après ces propos de mon avocat et de mon joueur de violon, vous ne serez pas fâché peut-être d’entendre ceux de Doyen, peintre du roi et de l’Académie, qui a été chargé, après la mort de Carle Van Loo, de finir les travaux ordonnés dans la chapelle des Invalides. Le roi de Suède ayant voulu les examiner avec soin, Sa Majesté a grimpé sur tous les échafauds jusqu’à la coupole, n’ayant avec elle que l’artiste, sa suite s’étant arrêtée en bas de la chapelle. « Sire, lui dit Doyen, si vous continuez ainsi à vouloir tout voir par vous-même, vous serez moins trompé que les autres. » Je ne sais si Doyen fera aux Invalides des tableaux qui nous dédommageront de la perte de Carle Van Loo ; mais il a de l’esprit, et sa conversation est pleine de saillies. Lorsque le roi de Danemark, pendant son séjour en France, vint voir les tableaux du Palais-Royal, la plus grande partie de la maison de M. le duc d’Orléans s’y trouva ; Doyen y vint par curiosité, et se mit à la suite de ce prince et de M. le duc de Chartres. Il aime volontiers à causer avec moi quand il me rencontre ; il se plaça de mon côté. Comme nous étions dans le cas de nous ranger de temps en temps pour laisser passer et repasser le roi d’une pièce à l’autre, Doyen me dit à un de ces passages : « Remarquez que les rois, quelque petits qu’ils soient de stature, regardent toujours de haut en bas et jamais de bas en haut. Voilà, ajouta-t-il, pourquoi ils aperçoivent si difficilement les gens de mérite, parce que ceux-ci se tiennent volontiers un peu haut. »

Le 9 mars, Sa Majesté suédoise, après avoir été à Marly et à Saint-Germain et visité en passant la machine de Marly, s’arrêta en revenant à Rueil, village situé entre Saint-Germain et Paris, et y soupa chez Mme la duchesse d’Aiguillon, douairière, avec M. le duc d’Aiguillon son fils, M. le duc de Nivernais et M. le comte de Maurepas, ancien ministre d’État. On donna à ce souper l’air d’un souper arrangé par le hasard ; M. le duc de Nivernois y lut plusieurs fables de sa composition. On ne sait pas ce qu’y dit M. le duc d’Aiguillon ; mais madame sa mère ayant montré au roi de Suède le portrait du cardinal de Richelieu fit apostropher Sa Majesté par ce ministre célèbre, comme vous allez voir dans les vers que je transcris ici :