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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/312

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jeune homme appelé Martini. Je le crois Allemand[1] : s’il est Français, il suffit d’un de ses airs pour se convaincre qu’il a appris son métier en Allemagne ou en Italie. Il a enseigné la musique quelque temps à Nancy, et il s’appelait alors Martin. En se transplantant à Paris, il a ajouté un i à son nom, et a bien fait ; Martini sonne beaucoup mieux en musique que Martin. On dit qu’il a épousé une fort jolie femme, et il a sans doute encore bien fait. M. le marquis de Chamborant, colonel d’un régiment de hussards, et premier écuyer de M. le prince de Condé, ayant connu Martini qui faisait le maître de musique sur le pavé de Paris, et qui n’y gagnait pas grand’chose, le prit pour son secrétaire, et lui fit avoir un brevet de sous-lieutenant ainsi voilà mon petit Martini compositeur, secrétaire, officier de hussards et peut-être cocu, car quel est l’état ou le mérite qui mette à l’abri de cet inconvénient ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’en sa première qualité, c’est un homme à encourager. Il a déjà fait graver pour le clavecin des morceaux de musique qui ont eu du succès. Dans sa musique de l’Amoureux de quinze ans on remarque une grande facilité de style, et les traces d’une bonne école ; son harmonie est pure, et il ne s’embarrasse pas dans sa marche. Ses airs manquent de résultat ; mais j’aime à croire que ce n’est pas sa faute ; c’est certainement celle de son poëte, qui ne lui a jamais donné de sujet, mais qui lui a donné en revanche, pour chaque air, quatre fois plus de paroles qu’il n’en fallait la nécessité de placer tout ce flux de paroles oisives a considérablement nui à la verve du compositeur, et l’a presque toujours bornée à l’étendue mécanique de son air. Je me garderai bien de juger M. Martini à mort sur cet essai quand il aura affaire à un poëte qui sait ce que c’est qu’un air, nous verrons s’il ne s’en tirera pas à son honneur.

— Le 24 du mois passé, on donna sur le théâtre de la Comédie-Française la première représentation de Gaston et Bayard, tragédie, par M. de Belloy. La misère obligea le pauvre citoyen de Calais de livrer cette pièce à l’impression au commencement de l’année dernière ; la santé chancelante de M. Le Kain ne lui promettait pas alors de pouvoir être jouée si tôt,

  1. Martini, auquel on a dû, depuis l’époque où Grimm écrivait ceci, la musique de la Bataille d’Ivry, du Droit du Seigneur, d’Annette et Lubin et de Sapho, était né en 1741 à Freystadt, dans le Haut-Palatinat ; il est mort en 1816. (T.)