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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/416

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de supériorité, ressentir cette aisance et ce soulagement que la lâcheté sait procurer au vice ? N’éprouvera-t-il pas, au contraire, avec Burrhus une sorte de contrainte et de malaise, suite nécessaire de ce respect involontaire que la vertu arrache même aux cœurs corrompus, et de l’habitude que Néron a d’obéir à celui qui a pris soin de sa jeunesse ? Il aura encore une autre contenance avec sa mère. Partout il doit être empereur, mais son âme ne peut être un instant dans la même assiette. Vous vous êtes, à la vérité, occupé du jeu de votre visage, mais il faut que toute votre personne soit d’accord ; il faut de l’expression, et non pas des grimaces. Voilà, monsieur, les leçons qu’on peut donner à un acteur ; celui que la nature n’a pas destiné à en profiter ne sera jamais qu’un acteur médiocre. — Mademoiselle, oserais-je vous faire une objection ? — Dites, monsieur. — De cette manière, il est impossible de former un acteur comique ; car où trouve-t-on écrite la vie des personnages comiques ? Elle est, monsieur, écrite bien plus sûrement, pour qui sait la lire, dans le grand livre du monde ; mais le malheur de notre profession est que les pages les plus intéressantes de ce livre nous sont souvent fermées. C’est à nous, monsieur, à obtenir, par notre mérite personnel, qu’on nous y laisse lire, et à achever de détruire un préjugé aussi barbare que nuisible aux progrès de l’art ; cette tâche, au reste, vous est plus aisée qu’à nous. — Mais comme je me destine au tragique, croyez-vous, mademoiselle, qu’au moyen de l’étude que vous voulez bien diriger, je serai en état de rendre un rôle ? — Non, assurément, monsieur ; je vous ai déjà dit qu’il faudra ensuite apprendre à être de la tête aux pieds le personnage que vous voudrez rendre il faudra apprendre à être vrai, monsieur. Vous avez à Paris un modèle unique que vous irez voir rarement, s’il vous plaît ; car ce sont les grands modèles qui perdent les élèves. — Et ce grand modèle ? — C’est M. Caillot : examinez-le bien, ne le copiez pas ; mais tâchez de deviner les ressorts qui le font mouvoir ; ils sont tous dans son âme. Voyez-le dans Silvain, dans le Déserteur, dans Lucile, dans l’Amoureux de quinze ans ; voyez-le père, amant, mari, gai, triste, enjoué, pensif, absorbé, il est toujours juste et vrai. Plus vous l’étudierez, plus vous découvrirez de nuances fines et sublimes dans son jeu. Si vous vous surprenez à vouloir l’imiter, ne le