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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/417

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voyez plus ; vous profiterez plus peut-être à voir jouer les mauvais acteurs, pourvu que vous sentiez qu’ils sont mauvais, qu’à suivre pas à pas les acteurs sublimes. Lorsque vous commencerez à être un peu formé, je vous permettrai d’aller admirer le jeu de M. Le Kain, qui a aussi un mérite rare ; et il le serait bien plus encore s’il n’était captivé par les entraves qu’une poésie épique et trop périodiquement cadencée donne aux acteurs ainsi qu’aux auteurs. Mais, je vous l’ai dit, vous n’êtes pas encore en état de profiter de ce grand modèle, vous tomberiez dans l’écueil de tous ses jeunes admirateurs, vous en deviendriez froid copiste ; il faut que vous vous soyez fait un jeu à vous avant de le suivre. — Mademoiselle, permettez-moi encore une question. De ce que vous venez de dire, ne m’est-il pas permis de conclure que vous préférez M. Caillot à M. Le Kain ? — Je ne répondrai point à cela, monsieur ; je vous dirai seulement qu’il faut toujours étudier la nature de préférence à l’art, et que mes succès ont perdu un grand nombre de débutantes qui n’étaient peut-être pas sans talent. Mais ne croyez pas que vos recherches soient bornées à ce que je viens de vous dire. Un cours de tableaux et de statues vous sera, avec le temps, fort utile. Peut-être le ferai-je avec vous, pour vous apprendre à bien voir et à faire un bon usage de ce que vous aurez vu. Je n’aurai garde de diriger votre coup d’œil sur telle ou telle attitude. Si le statuaire ou le peintre a bien rempli sa tâche, vous apercevrez dans l’instant le sentiment, la passion qu’il a voulu rendre. Nous examinerons cette passion et ses effets, nous verrons si l’attitude et l’expression que l’artiste leur a données sont vraies ; et à force d’observations, votre âme, accoutumée peu à peu à recevoir subitement toutes ces diverses impressions, pliera insensiblement toute votre personne à suivre ses mouvements, et vous finirez par savoir jouer la comédie. Adieu, monsieur. Laissez-moi votre nom et votre adresse ; demain je vous enverrai des livres. — Mademoiselle, puisque vous voulez bien me prêter quelques livres d’histoire, aurez-vous la complaisance d’y joindre ceux qui pourront m’instruire sur l’histoire de Phèdre, de Bajazet et des autres héros de Racine ? — Non, monsieur, et par une bonne raison, c’est que je n’en connais pas. — Il n’en existe donc pas ? — Non. Nous étudierons la pièce ensemble, et nous nous ferons un modèle. — Et comment se