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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/419

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Caillot lui dit : « Je vous avoue, mademoiselle, que si je me destinais au Théâtre-Français, j’aurais l’ambition d’essayer les premiers rôles. » Mlle Clairon le regarde d’un air majestueux, et lui dit : « Le projet en est beau ; mais, mon ami, vous avez le nez trop court. » Caillot nous a prouvé depuis qu’il savait s’allonger le nez et le proportionner à l’importance d’un rôle : cependant la remarque de Mlle Clairon, quoiqu’elle fasse d’abord rire, est d’une personne d’esprit et de goût. Une remarque plus importante que vous tirerez de la lecture de ce Rêve, c’est que l’éducation la plus libérale et l’instruction la plus soignée sont de première nécessité pour former un grand acteur, et qu’aussi longtemps que cette profession restera avilie par nos préjugés gothiques, l’art théâtral ne sera jamais porté au degré de perfection dont il est susceptible.

M. le marquis de Félino, ministre et secrétaire d’État de l’infant duc de Parme, jouissait depuis longtemps non-seulement d’une réputation intacte, mais d’une considération constante et générale et par conséquent méritée, lorsque la révolution arrivée l’année dernière à Parme donna lieu à sa retraite ; il s’est rendu en Espagne, et il paraît que les cours de France et d’Espagne s’empresseront également à honorer par leurs récompenses une administration si longtemps honorée de leur suffrage. Mais ni les causes ni les suites de la retraite de ce ministre ne sont du ressort de ces feuilles ; en revanche, la lettre que vous allez lire leur appartient. Elle est écrite à M. le chevalier de Kéralio, qui, après avoir servi avec distinction en France, a présidé à l’éducation du prince Charles de Deux-Ponts et préside encore aujourd’hui à celle du prince Maximilien, son frère. Le frère aîné de M. le chevalier de Kéralio a rempli les mêmes fonctions auprès de l’infant duc de Parme pendant son éducation, et vit aujourd’hui à Paris. Vous trouverez dans cette lettre ce caractère tranquille, ferme et sage que le grand homme, le vrai philosophe conserve même au milieu des orages ; c’est un rocher immobile contre lequel les vagues de la calomnie viennent se briser avec un vain et impuissant fracas. C’est ce caractère de tranquillité d’où naît l’éloquence du sage, qui m’a fait désirer de conserver cette lettre dans ces archives ignorées du vulgaire. Une page de cette espèce, à ne la considérer que comme un modèle de goût, vaut