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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/420

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mieux que tout le bavardage verbeux de nos écrivains prétendus éloquents.


« À Colorno, le 1er septembre 1771.

« Notre commerce, monsieur, a tout à coup été interrompu. Je craignais bien le jugement que vous porteriez de moi, cependant je conjecturai que vous seriez instruit de tout ce qui me regardait. Les affaires successivement prirent un accroissement et un tour que toute la sagesse humaine ne pouvait ni ne devait prévoir. Occupé extrêmement de tout ce qui devait constituer ma justification, environné de l’orage qui grondait de tous côtés, je crus que la prudence et la décence de ma place et d’une vie honnête, mais attaquée, exigeaient de moi le silence, de la modération, du courage et la retraite profonde de mon cabinet. C’est dans cette retraite qu’au milieu du fracas épouvantable que la noirceur et la calomnie avaient excité avec des circonstances inouïes, singulières enfin, et sans exemple, j’ai répondu tranquillement et avec courage de ma conduite, et que j’ai exposé les détails les plus approfondis de vingt-trois ans de ma vie publique et de mon administration je me flatte qu’on n’y refusera pas quelque suffrage. Tout ceci va être bientôt décidé. J’avais souvent fait depuis quelques années les instances les plus vives pour ma retraite ; on n’y avait pas consenti. Je les ai redoublées dans ce moment ; on a eu la bonté de sentir qu’on ne pouvait plus exiger de moi un plus long sacrifice. Les rois de France et d’Espagne, touchés, permettent mon éloignement ; la cour de Madrid vient de nommer pour me remplacer don Joseph-Augustin de Llono La Quadra, sujet considéré, plein de mérite, consommé dans les affaires, tel enfin que j’aurais été heureux d’avoir un maître pour me former dans la carrière que j’ai parcourue. Enfin, j’ai joué mon rôle, et la toile va heureusement se baisser pour moi. Je goûte d’avance avec charme les douceurs de la vie tranquille que je mènerai si je le puis quand je serai rendu à moi-même et à la liberté après laquelle je soupire depuis si longtemps. Peu aisé par moi-même après une vie dépouillée de toute vue de fortune et d’intérêt, je ne sais si les cours, en me regardant avec bonté, voudront me donner quelque aisance et me procurer l’otium cum dignitate. Voilà, monsieur, le tableau de ma situation, à laquelle vous vous intéressez avec tant d’amitié. Je compte dans six ou sept