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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/426

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scènes vides, des discours faux et des actions contraires à la vraisemblance et au sens commun. M. Barthe a bien eu assez d’esprit pour voir ce qu’il fallait faire, mais il n’a pas eu le génie de l’exécuter.

Le principal rôle, celui de la Mère jalouse, est absolument manqué. C’est une folle que cette Mme de Melcour, et une très vilaine folle ; elle se méprend sur les sentiments de Ferville de la manière du monde la plus grossière. Je sais que ces méprises, qui sont toujours dénuées de toute ombre de vérité, sont cependant reçues au théâtre, et je ne les en estime pas davantage ; mais c’est à condition qu’elles n’arrivent qu’à des personnages ridicules et bafoués. Je dis que Mme de Melcour est une vilaine folle, parce qu’elle persiste, avec une extravagante opiniâtreté, à rendre sa fille malheureuse sans retour, par un mariage ridicule et détestable, et qu’elle ne favorise que dans la vue secrète de mettre deux cents lieues entre elle et sa fille. Oh ! que ce n’était pas ainsi, mon cher monsieur Barthe, qu’il fallait faire la Mère jalouse. Il ne fallait certainement pas qu’elle fût désobligeante, dure, piegrièche avec tout le monde ; il fallait qu’elle fût douce, réservée, d’un caractère noble et tendre ; qu’elle aimât sa fille à la passion, et qu’elle en fût jalouse sans le savoir ; qu’elle ne pût ni s’en passer, ni l’avoir avec elle sans souffrir. Cet excès de jalousie secrète aurait ressemblé à un excès de tendresse trop raffinée, trop exigeante, plus malheureuse des défauts de sa fille qu’heureuse par ses qualités ; mais nous ne nous y serions pas mépris, nous qui avons le nez exercé. Bien loin de montrer tant d’humeur du tableau, elle aurait été touchée de cette marque d’attention de son mari ; elle aurait accablé le peintre d’éloges ; elle aurait détaillé le charme et les grâces de sa fille avec une extrême complaisance, et puis elle en serait tombée dans une tristesse involontaire dont elle n’aurait pu se rendre compte à elle-même, et qui lui aurait fait désirer l’éloignement du tableau sans en comprendre la cause. Il fallait surtout que l’établissement qu’elle avait trouvé pour sa fille, à deux cents lieues d’elle, fût en tout point un établissement avantageux, honorable, afin qu’elle pût toujours se dérober sous les raisons les plus solides le motif secret qui lui faisait préférer ce parti, et qu’on ne pût jamais opposer à ses raisons que la passion réciproque de Ferville et de Julie. Peut-être fallait-il