Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les cas, il n’aimait pas les palliatifs, et il ne manquait jamais d’indiquer les derniers remèdes, et par conséquent les plus violents ; et s’il n’était pas souvent malaisé de les appliquer, il n’y aurait rien à dire contre cette méthode.

M. Helvétius était d’origine hollandaise. Ce fut son père, je crois, qui vint s’établir en France, et qui y exerça la médecine avec beaucoup de réputation. Il mourut premier médecin de la feue reine, qui l’aimait particulièrement, et qui protégea également son fils jusqu’à la fatale époque de la publication du livre De l’Esprit. Il avait dans sa maison une charge de maître d’hôtel, dont il fut obligé de se défaire alors. M. Helvétius fit ses premières études sous la direction des jésuites, au collège de Louis le Grand, si je ne me trompe. Il donna très-peu d’espérances dans sa jeunesse. Il était sujet à de fréquents rhumes de cerveau qui lui donnaient l’air hébété et le rendaient stupide. En revanche, il réussissait parfaitement bien dans les exercices du corps. Il était d’une très-jolie figure, et il excellait particulièrement dans la danse. Il porta la passion de cet exercice fort loin, et l’on assure qu’il dansa une ou deux fois sur le théâtre de l’Opéra, sous le masque, à la place du fameux Dupré. Il obtint fort jeune une place de fermier général, grâce qui ne manque guère aux fils des premiers médecins. Doué de tous les avantages extérieurs et de ceux de la fortune, M. Helvétius passa sa jeunesse dans les plaisirs, et ne paraissait destiné qu’à mener la vie désœuvrée, dissipée et voluptueuse d’un homme du monde aimable et d’un de ces riches particuliers de Paris qui rassemblent chez eux bonne compagnie, et lui font la meilleure chère qu’ils peuvent. M. Helvétius avait de plus sur ses pareils l’avantage d’être généreux, noble et bienfaisant. Il ne pouvait manquer de faire une fortune immense dans la ferme générale, mais il en faisait l’usage le plus noble ; sans rien refuser à ses plaisirs, il donnait beaucoup et continuellement, et de la manière du monde la plus simple et la plus libérale. Il vivait alors déjà beaucoup avec les gens de lettres, et il fit un sort à plusieurs d’entre eux, nommément à feu Marivaux et à Saurin. Il n’y a pas fort longtemps qu’il fit la réflexion qu’il avait conservé peu de liaison et d’intimité avec ses anciens amis, sans qu’il y eût de sa faute. « Vous en avez obligé plusieurs, lui répondit le baron d’Holbach, et moi je n’ai jamais