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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/453

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de la musique étrangère. Rameau ne radote plus depuis qu’il est mort ; mais l’auteur du poëme, Gentil-Bernard, a pris sa place, il radote depuis un an ou dix-huit mois : cependant on ne l’a pas séquestré de la société ; il va aux spectacles et aux promenades publiques sous la garde d’un parent qui le soigne ; il est doux, et, quoiqu’il batte la campagne à tout moment, on démêle encore dans ses propos son tour d’esprit galant. On le mena à la répétition de son opéra, et Sophie Arnould lui fit un compliment à cette occasion : « Mademoiselle, lui répondit le pauvre Bernard, c’est moi qui ait fait Castor, et c’est vous qui en avez fait la gloire. »

Quoique le miracle ait opéré à l’ordinaire, on a cru en multiplier les effets en y joignant la persécution contre les hérétiques, et en s’opposant aux progrès ultérieurs de la musique étrangère. Un certain nombre d’amateurs, entichés de ce péché, s’étant cotisés pour former un concert qui se donne tous les lundis, et qui rassemble la meilleure et la plus brillante compagnie de Paris, l’Opéra a prétendu que ce concert était contraire à son privilège. La ville, en sa qualité de tutrice de l’Académie royale de musique, qu’aucuns estiment être retombée en enfance de temps immémorial, a porté des plaintes au gouvernement contre le Concert des amateurs : le prévôt des marchands et conservateur des citoyens[1], Bignon, a appuyé ces plaintes, et le Concert des amateurs a été sur le point d’être supprimé comme une cour de parlement. Heureusement pour leur petite existence, messieurs les amateurs avaient posé leur tabernacle à l’hôtel de Soubise ; M. le maréchal prince de Soubise a bien voulu leur prêter une salle ; et lorsqu’on lui a proposé de leur retirer cette salle, il n’a pas voulu se rendre à ces instances. Mais un autre petit concert innocent, qui s’était établi sous le titre de Concert des abonnés, et qui n’avait point sa protection, a été supprimé purement et simplement comme un bailliage. Il faut convenir que le conservateur Bignon a toute raison : ces concerts ne font que répandre le goût pernicieux de la musique italienne ; après tout, on ne pourra pas laisser la châsse de saint Castor exposée depuis le 1er janvier jusqu’au dernier décembre ;

  1. Grimm ne lui donne ce nom que par allusion aux affreux accidents survenus par son imprudence aux fêtes du mariage du dauphin et de Marie-Antoinette. (T.)