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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/95

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ment tombé, et l’on en dit beaucoup de mal. J’avoue que cette rigueur me paraît injuste : si vous voulez un discours sublime, il ne l’est pas, mais il y en a eu de plus mauvais prononcés dans ces augustes assemblées ; d’ailleurs, on est convenu, de tout temps que quelques phrases ingénieuses en feraient l’affaire.

On reproche à M. de Saint-Lambert d’avoir tout loué et d’avoir trop loué ; mais c’est l’esprit de l’institut, il ne faut donc pas chicaner l’orateur. On lui a donné à la porte de l’Académie un encensoir, à condition qu’il en dirigerait les coups, non-seulement en arrière sur les fondateurs, mais encore en avant vers les principaux nez académiques. Le nouvel académicien a fait son service d’encensoir à merveille, et il n’y a point d’habitué de paroisse qui sache mieux lancer le sien vers le porteur du saint sacrement. Indépendamment de l’illustre président de Montesquieu et du grand patriarche de Ferney, qui ont des droits assurément incontestables à notre hommage et à la reconnaissance de tous les siècles, l’abbé de Condillac, M. Thomas, M. d’Alembert, ont eu leur portion d’éloges à part. Je ne sais par quelle fatalité M. de Saint-Lambert a oublié M. de Buffon, qui ne laisse pas d’être aussi un des Quarante ; et je suis tenté de faire comme cet officier gascon qui, en revenant du palais où il avait monté la garde pour une séance de Louis XIV au Parlement, s’arrêta sur le Pont-Neuf, devant la statue de Henri IV, et dit à sa troupe : Mes amis, saluons celui-ci, il en vaut bien un autre[1]. Si l’on reproche à M. de Buffon des systèmes insoutenables, on ne peut nier que, passion de système à part, il n’ait en général le coup d’œil très philosophique ; et l’élévation de ses idées, la noblesse et le coloris de son style, lui assurent sa place parmi les premiers écrivains de ce temps, qui commence à être stérile en grands hommes. Comment peut-on passer sous silence M. de Buffon, quand on a le courage de louer son pesant adversaire, l’abbé de Condillac ? Il est vrai que M. de Saint-Lambert nous promet de sa part un ouvrage sur l’éducation ; mais, pour savoir si cet ouvrage mérite notre admiration et notre reconnaissance, j’attendrai qu’il ait paru, et je lirai.

Si l’abbé Trublet pouvait lire tout le bien que M. de Saint--

  1. Cet officier était le bisaieul du fameux Mirabeau. Voir, pour cette anecdote, tome III, p. 387.