Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lambert dit de lui comme littérateur, il arriverait exprès de Saint-Malo, par les coquetiers, pour remercier son généreux successeur. Je soupçonne M. de Saint-Lambert d’avoir le projet de voyager en Allemagne, et d’avoir su, par Maupertuis, avec quelle affection les maîtres de poste de ce pays-là servent ceux qui ont de la considération pour l’archidiacre Trublet. Lorsque Marmontel fut reçu à l’Académie, il alla voir le directeur pour lui lire son discours, et pour avoir communication de sa réponse, suivant l’usage. Ce directeur était M. Bignon, le même qui, en sa qualité de prévôt des marchands, a donné de si belles et de si heureuses fêtes au peuple de Paris, à l’occasion du mariage de M. le dauphin. Il dit à Marmontel : « Je sais bien que j’aurais dû parler de vous et de vos ouvrages avec éloge ; mais je n’en ai rien fait de peur de me faire des ennemis. » On peut se rappeler que Marmontel avait éprouvé les plus grandes difficultés pour entrer à l’Académie, à cause de cette fatale parodie de la scène de Cinna, adaptée à un conseil tenu sur le gouvernement de la Comédie-Française, entre M. le duc d’Aumont, M. d’Argental et Le Kain, parodie qui amusa le public pendant un mois, que Marmontel n’avait pas faite, et qui cependant lui resta[1]. Ce fut M. le prince Louis de Rohan, coadjuteur de Strasbourg, qui aplanit ces difficultés en forçant M. le duc d’Aumont de déclarer hautement qu’il désirait que Marmontel eût la place ; mais le prévoyant M. Bignon sentit, malgré cette déclaration, que l’éloge de Marmontel ne ferait pas un plaisir infini à ses ennemis, et eut la faiblesse de le supprimer, et l’impudence d’en dire la raison à Marmontel, qui la trouva très-bonne. C’est ce même M. Bignon, commandeur des ordres du roi, à qui le comte d’Argenson, alors ministre, dit, lorsqu’il obtint la place de bibliothécaire du roi, qui est presque devenue héréditaire dans sa famille : Mon cousin, voilà une belle occasion d’apprendre à lire. Au reste, il n’a pas donné le seul exemple d’une suppression totale d’éloges, et M. de Saint-Lambert aurait trouvé, dans les fastes de l’Académie, plus d’autorités qu’il ne lui en fallait, sinon pour supprimer, du moins pour raccourcir le panégyrique de l’archidiacre.

Il a fini son discours par une apologie faible, mais franche,

  1. Voir tome IV, p. 182.