I
SOUVENIR DE JEUNESSE
Si la patrie est, comme on le prétend, l’endroit où l’homme naît, — je suis Chinois, car ma mère me mit au monde dans un bateau amarré à la rive de Changhaï ; mais si la patrie est bien plutôt le pays où l’on a pour la première fois aimé, — je suis Japonais.
En deux mots, voici l’histoire de ma jeunesse. Je naquis légèrement contrefait, — mes jambes menaçaient de se croiser à la hauteur des genoux, et mon père, en bon patriote, résolut de se débarrasser de moi.
— Nous avons déjà, dit-il à ma mère en me portant au-dessus des flots, cinq enfants dont nous ne savons que faire ; je prends Dieu à témoin que je n’ai pas demandé celui-ci ; au reste, n’en parlons plus… Il m’allait lâcher, lorsque ma mère m’arracha de ses mains, s’enfuit et parvint à me tenir caché à tous les regards dans un petit bateau du voisinage, qui fut le théâtre de mes premières années.