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Grâce à des bandelettes fortement serrées, mes membres se redressèrent, et, en dépit de mon affreuse situation, la nature le voulant, je grandis et ne demandais qu’à vivre.

Tout ceci me fut conté par une vieille femme, lorsque j’avais cinq à six années.

Je fus élevé à fond de cale jusqu’à l’âge de trois ans, considérant comme un frère un grand singe qui fut ma première joie et ma première douleur. Mon compagnon vendu, je perdis la gaieté et la réflexion me vint. Dans ma faible intelligence, je compris que, puisqu’on m’avait ravi mon meilleur ami, le monde ne se bornait pas à une maison de bois flottante, et je commençai à être dévoré du désir de connaître.

Profitant de l’absence de ma mère, j’eus l’audace de faire une sorte d’échafaudage de paniers et de barils qui me permit de gagner le pont du bateau. Ce jour fut pour moi celui de la découverte du monde. Les nombreux navires, les maisons se dressant du milieu des bouquets d’arbres, les campagnes déroulant leurs espaces infinis, qui se présentèrent alors à ma vue, me firent une impression profonde. Le ciel, dont j’entrevoyais pour la première fois la voûte immense, me ravit par sa sublime splendeur, et la révélation soudaine d’un être souverain pénétra mon âme. J’ai souvent pensé depuis, par comparaison, que les prisons, ou, ce qui revient à peu près au même, les arrière-